Les travées de la grande salle de l’ancien hospice Saint-Gilles, à Namur, accueillaient, le 24 février dernier, un événement somme toute assez peu ordinaire. Sur les bancs habituellement occupés par les membres du Parlement wallon étaient réunis, à l’initiative de l’ICA, quelques dizaines de représentants du monde de l’architecture, en ce compris les bouwmeesters de la Région flamande, Erik Wieërs, de la Région de Bruxelles-Capitale, Kristiaan Borret, et de la Ville de Charleroi, Georgios Maillis, et quelques responsables politiques de premier plan — 5 ministres présents, quand même — pour débattre de la possibilité de créer — enfin — un bouwmeester en Wallonie.
Si l’intention figure explicitement, depuis 2019, dans la déclaration de politique gouvernementale de l’actuelle majorité régionale PS-MR-Ecolo, la perspective en demeurait cependant jusqu’à présent très nébuleuse voire incertaine aux yeux de beaucoup d’observateurs — « On n’a pas encore réfléchi à la question » reconnaissait d’ailleurs Olivier Granville, le chef de cabinet du ministre Borsus, qui a compétence sur le dossier —, d’autant que cette matière se situe à la charnière entre la Région et la Communauté française (dite désormais « Fédération Wallonie-Bruxelles »), dans un contexte où l’avenir institutionnel de cette dernière est ouvertement questionné.
La simple tenue de cette réunion publique, retransmise en direct sur le net de surcroît, avait donc des airs d’aboutissement après le très long travail de conviction mené depuis une quinzaine d’années, au moins, notamment par la Cellule.archi et Chantal Dassonville : enfin, le sujet est sérieusement pris en considération au plus haut niveau politique et sa concrétisation point à l’horizon.
Ce qui ne signifie pas, loin de là, que l’idée soit déjà appropriée par un corps politique wallon parmi lequel les enjeux culturels de la production architecturale publique restent globalement peu prioritaires voire peu reconnus. La soirée a aussi montré, entre méconnaissance (qui connait l’Open oproep en Wallonie ?), incompréhension et début de reformulation, l’absence d’un consensus sur ce que doit devenir ce dispositif.
Car si la proposition portée par la Cellule.archi, en s’inspirant du modèle initial hollandais et des déclinaisons qu’en ont données les régions flamande et bruxelloise, vise centralement à améliorer les processus de sélection des projets d’architecture publics, sa réception tâtonnante par le monde politique wallon se focalise immédiatement sur des dimensions plus substantielles, voyant spontanément dans l’hypothétique bouwmeester le porteur non seulement d’une expertise technique très large — bien au-delà de celle du praticien de la commande publique d’architecture — mais aussi d’une vision urbanistique, territoriale et sociale.
À la figure très libérale, venue du nord, d’un bouwmeester dont la première qualité est l’indépendance, la non-affiliation statutaire et organique aux services existants, et dont la mission est nettement circonscrite dans son propos et dans le temps (un mandat de 5 ans), le bouwmeester de Charleroi, Georgios Maillis, répond d’ailleurs en n’hésitant pas à se présenter comme « bras armé du Collège communal », dévoyant gaiement l’appellation originelle mais fort d’un bilan convaincant dans la redéfinition de l’image publique de sa ville et dans le pilotage d’une vision de territoire enfin structurée et exprimée clairement. Le cabinet du ministre n’est pas en reste, quand Olivier Granville explique que les trois bureaux d’urbanisme récemment engagés par la Région pour plancher sur un Master plan Vesdre, après les inondations, peuvent être considérés comme « trois bouwmeester à l’essai ». Cette dissolution de la question des procédures dans une approche plus large en aura hérissé certains, mais ils auraient tort de ne pas la prendre au sérieux : d’ailleurs, les processus de « research by design » (c’est-à-dire, en toute rigueur, de contre-projet) pratiqués notamment à Bruxelles ne dépassent-ils pas eux aussi l’enjeu procédural ?
Des craintes sont par ailleurs exprimées. Dès lors que l’ambition culturelle — le concours — prendrait le pas sur le savoir-faire des gestionnaires de travaux actuellement aux manettes et, entend-on, le cornaquage serré des auteurs de projet par l’administration, les marchés d’architecture, demande le ministre Collignon, ne deviendront-ils pas ingérables — dans les délais et dans les budgets — pour des pouvoirs locaux déjà fortement à la peine ? La « culture de la compétition » est questionnée, de son côté, par le directeur de l’intercommunale liégeoise de développement économique, soucieux de « tirer tous les auteurs de projet vers le haut ». La relation avec les fonctionnaires délégués — dont le rôle, dans la pratique, est loin de se limiter au traitement a posteriori des demandes de permis déposées — suscite certaines inquiétudes, de même que la capacité d’un dispositif régional à répondre adéquatement à la diversité d’échelle des maîtres d’ouvrages publics (la question de l’échelle territoriale adéquate a d’ailleurs été posée à plusieurs reprises et reste ouverte).
Ces craintes et visions divergentes constituent bien sûr des obstacles dans la course pour faire aboutir un texte de loi avant le printemps 2024 et la fin de l’actuelle législature. Par le dissensus qu’elles suscitent, mais aussi en chargeant trop la barque et les épaules d’un bouwmeester qui aura déjà fort à faire dans l’accompagnement de la commande publique de plusieurs centaines d’entités.
Elles peuvent également marquer le début de la construction d’une déclinaison singulière du dispositif qui, tout en reconnaissant l’énorme marge de progression que la Wallonie a dans le domaine et en limitant le périmètre de la mission, sera aussi construite à partir des attentes culturelles du terrain wallon.
Jusqu’où la définition d’un processus d’architecture est-elle politique ? C’est la question, plutôt intéressante, qui a été ouverte le 24 février et on se réjouit de lire les réponses qui y seront données dans les prochains mois.
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