Dans le cadre du plan de développement des infrastructures de la SNCB, dans la précipitation |1| et en l’absence de tout débat public, le gouvernement wallon s’est prononcé lors de la dernière législature, en juin 2001, sur les investissements qu’il souhaitait voir réalisés sur le territoire régional. Outre la mise à quatre voies des actuelles lignes reliant Bruxelles à Nivelles (ligne 124) et à Ottignies (ligne 161), le gouvernement a demandé la construction d’une ligne nouvelle reliant Ottignies à Gosselies en longeant l’E 411 puis l’E 42 à partir de l’échangeur de Daussoulx avec une gare à Rhisnes, le long de l’autoroute au nord de Namur. Loin d’être une énième chimère, ce projet semble bizarrement avoir aujourd’hui de bonnes chances de se réaliser.
Pourtant cette solution est aberrante.
Tout d’abord, elle prive Namur et Charleroi d’une connexion directe et rapide à Bruxelles à partir des gares urbaines. Les Namurois devront changer de train à Rhisnes, perdant une bonne partie du gain de temps escompté tandis que la desserte de Gosselies depuis le centre-ville et le reste de l’agglomération carolorégienne n’est simplement pas abordée par le projet. Dans le cas de la desserte de Gosselies, le gain de temps sera de surcroît limité par la longueur du tracé (sans parler du fait que les tarifs de la SNCB sont calculés en fonction du kilométrage parcouru). Ensuite, cette nouvelle ligne pose un problème d’exploitation. Il faudra en effet maintenir une desserte sur les anciennes lignes afin de relier les gares intermédiaires ainsi que la gare de Charleroi-Sud. Plutôt que d’améliorer les cadences, le projet risque donc fort de déboucher sur une dispersion de l’offre de transport entre deux alternatives contradictoires. Les usagers devront choisir entre la nouvelle et l’ancienne ligne mais ne pourront profiter des avantages de l’une et de l’autre à la fois.
Il a encore été avancé que le tronçon entre Daussoulx et Gosselies était la première étape d’une nouvelle dorsale wallonne destinée à relier à terme « Bierset à Antoing » (sic). Davantage encore que pour les liaisons entre les grandes villes wallonnes et Bruxelles, cette solution est boîteuse. S’il est vrai que la dorsale wallonne n’offre actuellement pas les connexions rapides et fiables que l’on pourrait souhaiter, il suffit d’imaginer le casse-tête — et le temps — qu’il faudra pour rallier deux centres-ville au gré des correspondances à Rhisnes et Gosselies — et plus tard à Nimy au nord de Mons. Cette ligne ne répondra donc pas aux besoins de déplacements internes à la Wallonie. Là encore, l’entretien et l’exploitation de deux lignes parallèles se révéleront coûteux et inefficaces, d’autant plus que les villes intermédiaires sont nombreuses, peu distantes les unes des autres et que le trafic est plus dispersé que vers la capitale.
Plus fondamentalement, les excellences wallonnes sont en passe d’excentrer Namur et Charleroi par rapport aux infrastructures censées les (dé)servir. Les Français font aujourd’hui la critique des gares TGV construites en plein champs et semblent renoncer à construire de nouvelles « gare-betteraves » |2|. Que l’on considère la question d’un point de vue social, environnemental ou urbanistique, il est évident que le train doit desservir les centres urbains et non des champs de patates. Le projet wallon est à cet égard complètement incompréhensible.
Il existe pourtant des alternatives pour améliorer la situation du rail wallon et des façons plus intelligentes d’utiliser l’argent public. Citons-en deux. Pour améliorer la desserte de la ville mosane à moindre coût, la modernisation de la ligne existante entre Ottignies et Namur, évitant toute rupture de charge, s’impose. Son tracé rectiligne ouvre en effet la possibilité d’un relèvement significatif de la vitesse des trains sur le plateau hesbignon. Concernant la desserte de Charleroi, une ligne nouvelle directe le long de l’E19 et de l’A54, avec la création d’une gare dans le nord de l’agglomération — aujourd’hui mal desservie —, constituerait une solution rationnelle et performante. Sa relative facilité de connexion à la gare du midi à Bruxelles et à la ligne Fleurus-Charleroi rend en effet ce projet attractif. Cette alternative permettrait de faire l’économie de la mise à quatre voies de la ligne Bruxelles-Nivelles |3|, particulièrement tortueuse et traversant des zones densément peuplées. Elle améliorerait considérablement les temps de parcours depuis Charleroi, créerait une gare à proximité de l’aéroport carolo et dégagerait des capacités pour le RER entre Bruxelles et Nivelles. Bien sûr, ces deux projets devraient être complétés par une rénovation en profondeur de la dorsale wallonne entre Mons et Liège et la prise en considération d’autres besoins en matière ferroviaire, depuis l’axe Bruxelles-Luxembourg jusqu’à la desserte urbaine de l’agglomération liégeoise en passant par la remise en service de lignes un peu trop vite désaffectées.
Il suffit de prendre une carte et d’y reporter le tracé annoncé pour s’en rendre compte : ce projet consiste principalement à relier entre eux des échangeurs autoroutiers et non des lieux de vie. La légèreté, l’absence de vision à long terme et le manque d’imagination des décideurs régionaux — unis pour l’occasion : socialistes, libéraux et écologistes dans le précédent gouvernement, sociaux-chrétiens dans celui-ci — ne sont pas seulement tristement ridicules, ils sont aussi lourds de conséquences pour l’avenir wallon,... dont il est pourtant beaucoup question ces temps-ci.
François Schreuer et Bernard Swartenbroekx
|1| Comme le soulignait Claude van den Hove à l’époque. Cf. Nicole Burette, « Comme toujours, la Wallonie improvise... », La libre Belgique, lundi 18 juin 2001.
|2| Dominique Buffier, « La SNCF va renoncer aux “gares-betteraves” pour les futurs TGV », Le Monde, mardi 18 mai 2004.
|3| Et ce d’autant plus que le projet actuel ne comprend pas une mise à quatre voies sur la totalité du parcours . Un goulot d’étranglement demeurera dans l’agglomération bruxelloise à la hauteur de Forest et d’Uccle où une seule voie supplémentaire sera ajoutée.
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