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Prime « kotteurs » : c’est toute la jeunesse qui devrait recevoir les moyens de son autonomie

Le gouvernement wallon (MR-CDH) vient d’adopter un arrêté qui institue une prime annuelle de 1000 EUR pour les étudiants de l’enseignement supérieur qui habitent à plus d’une heure de leur lieu d’étude. Coût estimé : 10 millions d’euros par an, soit 10.000 bénéficiaires |1|.

L’idée semble a priori partir d’une bonne intention, en cherchant à faciliter l’accès à l’enseignement supérieur aux habitants des territoires ruraux. Sa mise en œuvre apparaît cependant comme un chef d’œuvre d’approximation et d’injustice sociale.

Ainsi, le calcul de la distance à partir de laquelle la prime sera accordée se base sur un trajet d’une heure en voiture. Ce choix est pour le moins surprenant : la grande majorité des étudiants n’ont en effet pas de voiture personnelle et utilisent les transports publics, lesquels ont généralement des temps de parcours beaucoup plus longs. Un habitant d’Oupeye qui se rend sur le campus du Sart Tilman, par exemple, aura souvent un trajet de plus d’une heure trente, de porte à porte, s’il utilise le bus ; dans des conditions très mauvaises, de surcroît. Mais il ne pourra prétendre à la prime du gouvernement car le trajet ne prend qu’une petite demie-heure en voiture. La discrimination sociale semble évidente.

La prime, ensuite, est réservée aux étudiants inscrits dans un établissement d’enseignement dont le siège social se trouve en Wallonie. Un étudiant de l’UCL à Woluwe sera donc susceptible d’en bénéficier, tandis qu’un étudiant de l’ULB (même s’il étudie à Charleroi !) ne pourra y prétendre, pas plus qu’un étudiant wallon inscrit dans une faculté lilloise, luxembourgeoise ou maastrichtoise, qui est peut-être pourtant plus proche de son domicile qu’aucune autre. On peine à comprendre pourquoi.

Enfin, la prime n’est conditionnée à aucune limite de revenu parental : cela pourrait se comprendre si toute la jeunesse était concernée, mais s’agissant d’une prime réservée à un public très ciblé et dans un contexte où les bourses d’étude restent insuffisantes, c’est tout simplement inadmissible. Si les territoires ruraux connaissent évidemment aussi la précarité et la pauvreté, c’est en milieu urbain que se concentrent d’abord les difficultés sociales. Dans une Wallonie qui affame de longue date ses grandes villes, cette prime apparaît, après les multiples dispositifs fiscaux qui ont favorisé depuis 50 ans la périurbanisation, comme un outil supplémentaire de redistribution inverse au bénéfice de territoires qui se portent globalement mieux que la moyenne |2|, comme un incitant supplémentaire à l’exode urbain, qui se poursuit en silence, comme une énorme provocation à l’endroit des urbains, qui étouffent dans les fumées toxiques générées par les voitures qui pénètrent chaque jour dans nos ville en nombre démesuré.

Bref, il semble évident que ce texte n’aurait jamais dû voir le jour tel quel, et l’on forme dès lors le vif souhait qu’il soit attaqué puis retoqué par le Conseil d’Etat — à moins que le gouvernement ne se rende compte lui-même du caractère bâclé de sa copie, pour dire le moins, et choisisse de la retirer de lui-même.

Plutôt que son abandon, on aimerait cependant suggérer que la mesure soit... généralisée, sous la forme d’une allocation d’autonomie offerte à toute la jeunesse, dans le but de favoriser son émancipation, laquelle passe notamment par la possibilité de disposer d’un logement autre que celui de ses parents. Au nom de la liberté de poser des choix de vie librement, au nom de la liberté d’aimer qui on veut, accordons à la jeunesse les moyens de son indépendance.

|1| Ce qui semble fort peu eu égard aux 210.000 étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur en Communauté française. On verra ce qu’il en sera.

|2| Ainsi, selon l’IWEPS, pas une seule commune de la Province de Luxembourg n’a un revenu moyen par habitant inférieur à celui de Liège, Charleroi, La Louvière ou Verviers.