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Un Collège formé à l’ancienneté

Comme partout en Belgique, c’était ce soir l’installation du nouveau Conseil communal de Liège. Foule des grands jours, même si la séance était de pure forme : prise de connaissance de la validation de l’élection, prestation de serment des élus, adoption du pacte de majorité, déclarations d’apparentement, désignation des élus au CPAS. Aucune surprise, sauf peut-être la désignation, pour la première fois, d’une présidence du Conseil non exercée par le bourgmestre (c’est à la discrète Corinne Wégimont que revient ce rôle particulièrement délicat). Intérêt globalement limité — on ignore toujours ce que sera le projet de la nouvelle majorité —, mais voilà.

Parmi d’autres choses, a été adopté ce soir le tableau de préséance des conseillers. Celui-ci est établi selon l’ancienneté des élus dans le mandat communal. À ancienneté égale, l’ordre est déterminé par les voix de préférence lors du dernier scrutin. Elu depuis... 1976, Michel Firket trônait au sommet de ce tableau. Le voilà parti, et c’est le tandem formé par le bourgmestre Willy Demeyer et l’inoxydable Maggy Yerna, tous deux élus en 1988, qui a pris la main. Christine Defraigne, également élue pour la première fois en 1988, a passé son tour en 1994 et figure donc dans la cohorte de 2000, avec Gilles Foret ou Julie Fernandez-Fernandez. Entre les deux, Pierre Stassart est le seul rescapé de 1994. Suivent ceux de 2006, de 2012 et de 2018. Ainsi, cette année, 19 nouveaux élus, sur 49, sont sortis du scrutin. C’est 5 de plus qu’en 2012 (les 7 nouveaux élus du PTB pèsent déjà lourd) ; il n’empêche : une nette majorité d’élus l’étaient déjà il y a six ans, voire depuis beaucoup plus longtemps.

L’ordre de ce tableau commande certains aspects protocolaire de la vie du Conseil, rien d’absolument déterminant. Disons qu’il est préférable de figurer dans le premier tiers pour espérer pouvoir suppléer l’Officier d’Etat civil lors d’un mariage...

L’établissement de ce tableau est cependant l’occasion de constater qu’il semble également avoir présidé à la composition de la nouvelle majorité et du nouveau Collège : les 12 premiers noms du tableau appartiennent tous à la nouvelle majorité — et le bourgmestre ainsi que tous les (huit) échevins (et aussi la nouvelle présidente du Conseil ainsi que le chef de groupe socialiste) se recrutent parmi ces 12 personnes (le douzième de la liste étant un échevin sortant). Parmi ces 12 personnes, six sont en outre d’actuels ou anciens parlementaires. Le premier élu de l’opposition (Benoit Drèze, 13e) vient donc après tous les échevins. Il est probable que la chose soit inédite (à vérifier).

Cette permanence dans le temps d’une partie du corps politique, même si elle horrifie certains partisans de « la » bonne gouvernance, n’a pas que des aspects négatifs. Elle participe de façon déterminante à la transmission des pratiques et des savoirs politiques (lesquels existent bel et bien et ne s’enseignent guère dans les écoles). Elle fabrique souvent (mais pas toujours) des élus dotés de mémoire et d’expérience, mieux outillés pour jouer leur rôle, plus coriaces, tout simplement, en particulier dans l’opposition, où la capacité, par exemple à invoquer la jurisprudence de décisions passées ou à avoir en mémoire les antécédents d’un dossier peut s’avérer extrêmement précieuse.

On est donc d’emblée frappée de ce que l’opposition de la mandature à venir sera faible sur ce plan, seuls deux de ses membres pouvant être considérés comme des anciens, Benoit Drèze et Guy Krettels et aucun de ses (5) chefs de groupe n’ayant plus d’un mandat dans les jambes (c’est bien simple : me voilà le doyen des chefs de groupe de l’opposition).

À l’inverse, le manque de renouvellement du corps politique est évidemment délétère sur le plan démocratique, en laissant trop peu de place aux idées nouvelles ou aux aspirations de la jeunesse, en figeant au pouvoir un groupe restreint qui est porté, petit à petit, à ne plus faire correctement la distinction entre l’intérêt dudit groupe et celui de la collectivité.

Alors pourquoi ce choix d’un Collège d’anciens ? Il vaut la peine d’en discuter.

J’ai tendance à y voir, d’abord, un réflexe d’auto-protection d’un corps politique dont la légitimité a sans doute rarement été aussi frontalement questionnée qu’à l’heure actuelle et qui choisit, peut-être sans vraiment s’en rendre compte, de miser sur ses vieux hussards, sachant que la mandature sera difficile : il y a ainsi fort à parier que les petits cris de ravissement de Christine Defraigne risquent fort de céder la place à un autre registre dès lors que la nouvelle échevine des finances sera au pied de son premier budget.

J’y vois aussi la faiblesse marquée des appareils partisans, incapables d’imposer un renouvellement des cadres qui leur bénéficierait plutôt, y compris sur le plan électoral (au moins dans le long terme) ; incapables aussi de faire primer des enjeux de fond (et donc des figures incarnant des idées, des enjeux, un renouvellement idéologique) sur les petits jeux abscons (le centre contre la périphérie, etc) et la reconduction sempiternelle d’un personnel en place, bon gestionnaire et peu clivant, machines à voix pepsodents peu à peu installées dans le paysage ; incapables encore de permettre à des figures nouvelles de s’imposer par le jeu démocratique interne — le renouvellement des cadres étant plus souvent le fait de la cooptation (fréquemment doublée d’une dimension népotiste).

Inévitablement, cette prime à l’ancienneté se traduit dans une moyenne d’âge élevée (plus de 55 ans en début de mandature), plus élevée encore qu’il y a six ans, alors que Liège avait déjà été épinglée au cours de la dernière mandature comme la grande ville wallonne dotée du Collège ayant l’âge moyen le plus élevé.

Là où la dernière mandature, à Liège, a organisé, sur un mode très classique, la confrontation de deux grands partis traditionnels, dotés des attributs habituels (la présidente du Sénat donnant la réplique au « député-bourgmestre »), ponctuée par les interventions de trois formations minoritaires de gauche, celle qui vient devrait prendre un tour assez différent dans lequel l’expérience des deux groupes majoritaires risque de peser lourd — à moins que l’enjeu générationnel ne prenne le pas sur les clivages traditionnels.