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Laisserez-vous mourir la ferme du Biéreau ?

Depuis quatre ans, Ottignies-Louvain-la-Neuve est la première ville en Belgique francophone à avoir une majorité communale emmenée par le parti vert et dirigée par un bourgmestre écologiste, Jean-Luc Roland. Militants étudiants, nous sommes aussi des citoyens investis et intéressés par les questions touchant à la ville dans laquelle nous vivons l’essentiel de notre temps. Même si nous n’y exerçons pas, pour la plupart d’entre nous, le droit de vote, nous nous sommes intéressés tout au long de cette période à cette première expérience particulièrement significative. Aujourd’hui, nous tenons à dire que nous sommes déçus. Et nous nous permettons de nous adresser à vous parce qu’il nous semble que le bilan qui sera fait de cette première expérience est un enjeu collectif majeur pour votre mouvement, mais aussi et surtout parce que nous constatons que le dialogue est devenu difficile avec les autorités communales d’Ottignies-Louvain-la-Neuve mais nous pensons qu’il n’est pas trop tard pour renverser la vapeur. Nous tenons en particulier à vous dire quelques mots d’un dossier qui nous semble important et très symbolique : celui de la ferme du Biéreau.

Retraçons-en rapidement l’histoire. La ferme du Biéreau, dont l’implantation remonte sans doute au moyen-âge, était l’un des rares bâtiments présents sur le plateau de Lauzelle avant que l’UCL n’y construise une ville. A l’arrivée de l’université, ce lieu magnifique — dont les habitants avaient été expropriés pour la construction de la ville — ne trouva pas d’affectation dans le schéma d’implantation de l’université, et fut rapidement occupé par des étudiants qui y trouvèrent un logement et y mirent en place des activités culturelles, fondant l’asbl « ferme du Biéreau ». Aujourd’hui, les héritiers de cette activité poursuivent, dans deux ailes du bâtiment (le corps de logis et les anciennes écuries), la mise en œuvre d’une programmation culturelle audacieuse en matière de cinéma et de musique contemporaine, organisent des animations pour les enfants du quartier, accueillent et aident à produire les activités toujours plus nombreuses d’associations et particuliers de la commune et d’ailleurs, et font surtout vivre un lieu de différence au sein de la ville universitaire dont on connaît plus souvent à l’extérieur les guindailles et les parking bétonnés.

Une dizaine de personnes vivent en communauté dans l’ancien corps de logis de la ferme. Nombreux sont les étudiants et les habitants à fréquenter ce lieu. Il y a quelques années, l’UCL, propriétaire du site, décida d’intégrer la ferme du Biéreau dans son projet de « pôle culturel » ottinto-louvaniste. Pour des raisons d’éligibilité à certaines subventions, la propriété du lieu fut transférée à la commune, qui y vit sans doute aussi une opportunité intéressante d’apposer sa marque au cœur de la cité louvaniste. De coûteux travaux de rénovation furent entrepris pour transformer la grange en salle de spectacle et construire dans deux bâtiments annexes les dépendances nécessaires (une seconde salle, plus petite, des vestiaires…). Soulignons que, durant toute cette période, les activités de l’asbl (qui bénéficiait d’un bail conclu avec l’UCL) se poursuivaient. Soulignons aussi que personne ne s’opposa — et ne s’oppose aujourd’hui — à ce projet de salle de spectacle (qui ne concerne que deux ailes du bâtiment sur les quatre), projet qui s’il a déjà englouti des millions d’euros de subventions, n’en reste pas moins à l’heure actuelle et sans doute encore pour longtemps, un vaste chantier.

L’aspect ubuesque de la situation est renforcé par le fait que le centre culturel qui devra prendre place dans ces bâtiments est toujours aujourd’hui une vue de l’esprit, dénuée de toute identité et de tout projet de programmation. La désastreuse tendance, si souvent dénoncée, à la culture institutionnelle créée ex nihilo par des édiles publics un peu mégalomanes et complètement coupés du terreau existant, trouve ici un exemple frappant. Mais les choses sont loin de s’arrêter à ce banal constat d’une culture institutionnelle sursubventionnée côtoyant une activité culturelle autonome et méprisée par les pouvoirs publics. Car, depuis un certain temps, il est question pour la majorité communale et pour son bourgmestre Jean-Luc Roland d’investir également l’espace restant — c’est-à-dire celui qui est aujourd’hui occupé par l’asbl. Pour y faire quoi ? Nul ne le sait et surtout pas le bourgmestre. Aucune affectation crédible n’est prévue. Il a été question d’y installer des associations mais on n’a pas su lesquelles et il est apparu qu’hormis l’association des habitants (celle-là même qui a largement contribué à l’élection de Jean-Luc Roland, qui a depuis été logée dans un espace restant libre à la ferme), ce projet ne correspondait à aucune demande et surtout à aucune cohérence du lieu. Il est maintenant question, selon le vœu du pro-recteur Gabriel Ringlet, d’y établir deux appartements (de 150 m² chacun) destinés à accueillir des d’écrivains, mais ce projet ne correspond manifestement ni à une demande ni à la réalité des besoins culturels de la ville, mais seulement aux ambitions somptuaires d’une université qui ne conçoit trop souvent la culture que bourgeoise et subventionnée.

Peu importe donc le projet qu’on y mettra, il semble que l’essentiel pour la majorité communale est de mettre un terme à la dimension d’habitat communautaire des lieux propre à l’asbl ferme du Biéreau depuis 31 ans. Pourquoi ? Il semble que le seul argument avancé par le collège est qu’il serait, selon lui, inacceptable de laisser un patrimoine public à la disposition d’intérêts privés — et en l’occurrence particulièrement au logement d’une dizaine de personnes (ce qui est par ailleurs assez contestable dans une ville et une région où sévit un déficit de logements dramatique). S’il est donc possible pour les autorités communales d’envisager que les écuries puissent être occupées par des activités de l’asbl, lui laisser le corps de logis reste inacceptable. Ce que la commune ne comprend pas, c’est que la poursuite de l’activité de l’asbl, non seulement dans son esprit, mais aussi simplement dans ses aspects pratiques, n’est possible que par la vie en communauté qui l’anime. il y a là, autour d’une question de politique culturelle, un seuil de compréhension qui semble ne pas pouvoir être franchi par les responsables politiques de la majorité communale. Car le projet et la situation actuelle de l’asbl « Ferme du Biéreau » sont un exemple concret marquant et on ne peut plus actuel d’une volonté affirmée pour que les pratiques culturelles ne soient pas réduites à une affaire de professionnels, pour qu’elles puissent être pratiquées et vécues comme une prolongation de la vie quotidienne des habitants d’une ville. Cela dépasse très largement la simple asbl ferme du Biéreau. C’est un enjeu de société majeur.

Aujourd’hui, la commune a mis fin au bail de l’asbl. Malgré de nombreuses tentatives de dialogue de la part des habitants de la ferme, aucune proposition sérieuse n’est venue de la part de la commune. Une procédure d’expulsion violente, faussée et unilatérale est désormais mise en route. Nous ignorons quelle sera la stratégie choisie par les habitants face à cette situation mais nous les soutiendrons dans leur combat, autant qu’il sera nécessaire. Nous vous demandons de faire quelque chose. Car Louvain-la-Neuve n’est plus depuis longtemps le centre de la créativité débordante que ses premiers habitants se plaisent encore parfois à dépeindre. Louvain-la-Neuve est une ville qui est dominée, d’une part, par des activités festives de consommation de masse et, d’autre part, par une normalisation capitaliste de l’espace public qui est particulièrement visible dans la construction du multiplexe UGC ou du gigantesque centre commercial qui s’y construit actuellement. Les espaces culturels divergents, entre ces deux modèles, se font écraser les uns après les autres. La possibilité d’exprimer une différence trouve de moins en moins d’endroits où s’exprimer. Que prescrit le modèle de société de l’écologie politique dans pareille situation ? A quoi voulez-vous que nos villes ressemblent ? Si Ecolo se montre incapable, quand il est au pouvoir, d’éviter la normalisation du champ social par le marchand, si, pire encore, Ecolo se montre promoteur de cet appauvrissement, alors, pour nous — dont la plupart sont militants, sympathisants, électeurs ou anciens électeurs de votre parti —, Ecolo ne sert à rien.


Premiers signataires

François Schreuer,
Ancien président de la Fédération des Étudiant(e)s Francophones, élu étudiant au conseil d’administration de l’UCL

Bernard Swartenbroekx,
Ancien président de l’Assemblée générale des étudiants de Louvain (AGL), élu étudiant au conseil d’administration de l’UCL

Tanguy Isaac,
Ancien président de la Comission sociale de l’AGL (2000-2002) et ancien président de radio Hellena (2002-2003)

Nicolas Cordier,
Trésorier de l’AGL

Mathilde Collin,
Représentante étudiante au conseil académique de l’UCL en 2003-2003

Gilles Verniers,
Ancien Président du Conseil de l’AGL

Pierre Lison,
Etudiant-Administrateur de l’UCL

Coline Ruwet,
Étudiante à l’UCL

Xavier Danaux,
Etudiant à l’UCL, membre du Tchouktchouk Kot

Nathalie Hargot,
Etudiante en psychologie à l’UCL, membre de l’orchestrakot

Corentin Genin,
Etudiant en Sciences Politiques à l’UCL et habitant de Louvain-le-Neuve, conseiller AGL, ancien kapiste (Circokot /Kot Oxfam)

Philippe Verdoot,
Ancien vice-président de l’AGL

Elise Degrave,
Membre de l’orchestrakot 2002-2004

Martin Coppens,
Conseiller AGL, membre du comité du Cercle Industriel 2002-2004

Arnaud Salmon,
Demandeur d’emploi

Rebecca Deraeck,
Responsable de l’Orchestrakot 2004-2005

Thomas Claus,
Ancien kapiste (Etincelle, Tchouktchouk Kot)

Martin Claessens,
Membre des Magasins du Monde-Oxfam, électeur Ecolo

Grégoire Lits,
Conseiller AGL

Aurélie Aromatario,
Etudiante à l’UCL

Julien Caudron,
Membre d’ATTAC Louvain-la-Neuve et ancien conseiller
AGL

Emeline De Bouver et Ariane Dewandre,
Responsables du Kapodastre

Thérèse Zhang,
Ancienne présidente de la commission culturelle de l’AGL

Olivier Hermesse,
Assistant à l’Institut Supérieur de Philosophie (UCL)

Christophe Piheyns,
Membre CDH Marche-en-Famenne, président du Bureau du conseil des étudiants de l’Henac (Namur), ancien étudiant de lln

Elodie Simonis,
Représentante étudiante au conseil académique de l’UCL en 2003-2004, présidente de l’espace culturel de l’AGL, le Foyer, 2003-2004, membre active de kots à projets pendant 2 ans.



Si vous souhaitez en savoir plus sur l’asbl de la ferme du Biéreau, surfez sur
http://fermedubiereau.eu.org/