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Compte-rendu

Les trois enjeux de Publifin

Intervention dans le débat général sur le dossier Publifin, qui a eu lieu au Conseil communal de la Ville de Liège, le 27 mars 2017.

Monsieur le bourgmestre,
Mesdames et Messieurs les échevins,
Chères collègues,

Nous sommes amenés, ce soir, pour la première fois depuis l’explosion de « l’affaire Publifin », en décembre dernier, à débattre du sujet en séance publique du Conseil communal.

Au vu de la multiplicité des acteurs impliqués dans ce débat, il me semble important, avant toute chose, de préciser en quoi le Conseil communal est concerné.

Et je vois, pour ma part, trois enjeux principaux qui se dégagent.

— Il y a d’abord les dysfonctionnements et peut-être les délits observés dans le fonctionnement de l’intercommunale Publifin et de ses filiales.

— Il y a ensuite les leçons qu’il convient de tirer sur la façon d’organiser la représentation de la Ville dans l’ensemble des mandats dits « dérivés », c’est-à-dire dans les intercommunales mais aussi dans d’autres types de mandats.

— Il y a enfin, et surtout, la préoccupation que nous devons avoir de la défense de l’intérêt de la Ville — et partant, de ses citoyens — dans un contexte où celui-ci est lourdement engagé. Il s’agit à mon sens du cœur du débat que nous avons à tenir ce soir.

Si je puis me permettre une comparaison, il me semble que Publifin est un peu comme une maison dont la Ville serait (co-)propriétaire et qui aurait été donnée en location à un habitant un peu particulier. Celui-ci, au fil des années, a construit de nombreuses extensions qui ont transformé la modeste maison en une grande villa. Et puis il a organisé une énorme fête, au cours de laquelle la maison a été peinturlurée voire inondée. Face à cette situation, il semble que certains nous suggèrent que la bonne attitude à tenir serait de mettre le feu à la maison. Ce serait évidemment absurde. Et l’attitude de ceux qui sont trop occupés à pendre le locataire en place de grève, laissant la maison ouverte à tous vents, ne vaut guère mieux. Aujourd’hui, nous devons nous préoccuper de remettre la maison en bon état. Nous devons remettre des tuiles là où le toit fuit. Nous devons repeindre les murs.

Dans ce dossier, il nous revient donc de garder le sens de la mesure. Face à une émotion collective exacerbée, le rôle du politique n’est certainement pas de mettre de l’huile sur le feu, mais de proposer un cap, au service de l’intérêt général.

Venons-en, dans cette optique, aux trois enjeux que je viens d’évoquer.

1. Les dysfonctionnements

Des actes potentiellement répréhensibles ont été commis, provoquant la colère d’un grand nombre de nos concitoyens. Nous devons saluer la presse qui a révélé ces informations, ce que n’ont pas été en mesure de faire les instances qui en auraient normalement eu la charge. Une chose me paraît certaine : lorsqu’on est investi d’une charge publique, on est tenu à la probité la plus rigoureuse, parce que déroger à ce principe d’airain met en cause non seulement sa propre responsabilité, mais également, et c’est beaucoup plus grave, la crédibilité des institutions publiques dans leur ensemble et celle des idées au nom desquelles on a sollicité le suffrage des citoyens. Par conséquent, ceux qui, dans l’exercice des responsabilités publiques, placent leur intérêt personnel au-dessus de celui de la collectivité ne méritent aucune mansuétude et doivent être écartés sans hésitation.

Ceci étant, l’institution judiciaire est à présent saisie de l’affaire. Le principe de séparation des pouvoirs nous impose de la laisser travailler. Je suis sensible également à la question du respect des droits de la défense, qui a son importance ici comme dans n’importe quelle situation où la responsabilité d’une personne est mise en cause.

2. L’exercice des mandats dérivés

Un second enjeu soulevé par « l’affaire Publifin » concerne la nécessité, devenue évidente, de faire le point sur la manière dont sont exercés les mandats « dérivés ». Il faut d’abord réaffirmer avec force que l’exercice d’un mandat d’administrateur est une lourde responsabilité — qui appelle un dévouement important de la part de ceux qui en sont investis — et non un avantage ou un privilège.

Une « charte » est mise sur la table par le Collège communal, qui contient des éléments intéressants. C’est à nos yeux un bon début, même si le fait que certains principes élémentaires doivent être rappelés — celui du rapport que tout mandataire devrait faire, d’une façon ou d’une autre à ses mandants, par exemple — indique qu’il y a devant nous un long chemin à parcourir, un très long chemin.

Pour VEGA, un diagnostic plus structurel est donc nécessaire. Il faut en particulier comprendre les raisons qui ont permis à Tecteo devenu Publifin de s’émanciper, de fait, de tout contrôle réel pendant de longues années.

Un élément de réponse se trouve à nos yeux dans le déséquilibre des pouvoirs, dans l’intercommunale mais aussi, plus généralement, dans le fonctionnement des institutions publiques en région liégeoise. La seule manière de borner un pouvoir, nous le savons depuis au moins Locke et Montesquieu, c’est de l’équilibrer par d’autres pouvoirs. Le fait est que cet équilibre est aujourd’hui très souvent fragile ou déficient. Il faut travailler de façon fondamentale sur cette question qui n’est pas dépourvue de profonds aspects culturels. Cette question doit être posée depuis le niveau micro du fonctionnement des groupes politiques et des partis jusqu’à une dimension plus structurelle, qui tient à la place de la société civile, à sa capacité à être porteuse d’une exigence vis-à-vis du pouvoir politique, en passant par la place et les moyens dont dispose l’opposition, dont le rôle doit être reconnu comme fondamental.

Pour VEGA, il est est également souhaitable que nous allions vers un modèle de rémunération plus sain que celui qui prévaut actuellement. Nous plaidons à cet égard pour que seul le mandat primaire (celui d’élu communal, donc) soit rémunéré, tandis que tous les mandats dérivés seront exercés à titre gratuit. Cela mettrait tous les conseillers communaux sur le même pied. Cela réduirait le poids des appareils partisans sur les élus (et améliorerait donc leur indépendance). Cela serait beaucoup plus transparent vis-à-vis de l’ensemble du corps politique souverain. Bien sûr, la condition à ce modèle est de rémunérer correctement le mandat primaire, à la hauteur de l’investissement requis. Nous savons tous que l’exercice actif d’un mandat de conseiller communal n’est pratiquement possible que pour les personnes qui ont la possibilité d’aménager leurs horaires de travail, de se libérer parfois en journée, de bénéficier de la compréhension de leur employeur. C’est loin d’être le cas de tous nos concitoyens. Il y a donc là un enjeu démocratique fondamental, celui de rendre l’exercice des responsabilités politiques possible pour toutes et tous.

Nous y reviendrons.

3. La défense de l’intérêt communal

J’en viens donc à ce qui me semble être l’essentiel.

Publifin, en dépit de la connotation très négative qui marque désormais ce nom, est un bien commun.

Publifin est notre bien commun.

Publifin est le bien commun de toutes les Liégeoises et de tous les Liégeois, de tous les habitants des communes qui participent à l’intercommunale, de tous les habitants de la Province. Notre responsabilité première, en tant que représentants des Liégeoises et des Liégeois, est de le protéger. Non seulement pour des raisons financières — on parle d’un patrimoine important et d’un dividende qui est bien précieux chaque année pour boucler le budget communal — mais aussi et surtout pour la défense de l’emploi local — plusieurs milliers de familles sont concernées — et pour le maintien d’un ancrage décisionnel à Liège.

La région liégeoise a énormément souffert de voir les sièges sociaux d’entreprises privées délocalisés les uns après les autres, selon les lois d’un système économique qu’on sait impitoyable pour les régions qui, comme la nôtre, cherchent un nouveau souffle économique. Dans ce contexte, l’initiative publique a été salutaire et l’est encore. Nous devons nous réjouir que le câble, par exemple, ait été conservé dans le giron public plutôt que d’être vendu à l’encan. Nous devons nous réjouir de disposer d’un outil public qui est capable aujourd’hui d’investir dans la transition énergétique. J’ai l’impression que beaucoup de commentateurs ont oublié cela.

Alors, bien sûr, ce bien commun, il a été constitué au terme d’investissements consentis par les actionnaires — c’est-à-dire in fine par l’ensemble des citoyens concernés —, au terme aussi d’une stratégie qui a globalement été meilleure que celle d’autres opérateurs du secteur. Il est assez insupportable d’entendre tant et tant de commentateurs considérer avec aplomb que le fait d’avoir réalisé ces investissements revenait à spolier les communes et donc leurs habitants. Il est insupportable d’entendre tant et tant de voix — dont certaines à gauche, dont certaines qui se disent radicales — fustiger le fait que le bénéfice tiré de l’activité de gestion de réseau ait été investi dans le développement de nouveaux outils plutôt que d’être distribué en dividendes ou dilapidés d’une autre manière.

Je n’hésite pas à le dire : au delà des responsabilités dont la justice se chargera d’établir l’ampleur, c’est une idée qui est attaquée, l’idée que les pouvoirs publics — locaux, de surcroît — sont capables d’avoir une action dans le secteur économique, et qu’ils sont en cela légitimes. Je ne m’explique par autrement la violence de certaines charges qui, dans le même temps, restent aphones dans tant de situations où l’intérêt public est beaucoup plus massivement mis en cause. Aujourd’hui même, par exemple, nous apprenons dans la presse que le quart des profits des banques européennes sont réalisés dans des paradis fiscaux.

Aujourd’hui, ce bien commun est de toute évidence menacé. Il suscite des appétits déclarés ou non, mais féroces, dangereux. Le risque est bien identifié : c’est que ce bien commun qui a été patiemment constitué soit capté par tel ou tel acteur, privé ou public, au détriment de nos communes et de leurs habitants. Il faut souligner que peu d’acteurs, dans ce débat, sont neutres. Ce n’est, notamment, pas le cas de la Région wallonne. Ce n’est pas le cas non plus de tous les mandataires publics — dont certains siègent dans la Commission d’enquête — qui sont liés, d’une façon ou d’une autre à ORES, l’autre gestionnaire de réseau électrique en Wallonie, qui aurait un intérêt évident à, par exemple, une fusion avec RESA dans les termes défavorables à Liège dont on devine qu’ils sont déjà en train d’être mis sur papier.

Que convient-il de faire ?

Et comment devons-nous nous positionner face à l’ordre du jour de l’Assemblée générale de Publifin qui aura lieu ce jeudi ?

Primo, pour VEGA, il faut d’abord veiller à retrouver au plus vite la sérénité dans la gestion de la société. À cette fin, nous demandons le renouvellement complet non seulement du CA de Publifin — ce qui est acquis — mais également de ses principales filiales — Finanpart et Nethys, en particulier, ce qui n’est pas à l’ordre du jour et devrait y figurer.

Se pose ensuite la question de la forme juridique vers laquelle devrait évoluer le groupe Publifin. Il est question d’un démantèlement ou d’une scission : pour VEGA, c’est non ! A fortiori dans les circonstances actuelles. On évoque aussi, notamment dans les rangs du PS, une possible entrée en bourse : pour VEGA, c’est non aussi ! Nous nous étonnons que le PS n’ait pas tiré les leçons des « consolidations stratégiques » qu’il a menées dans les années ’90, avec pour résultat une quasi-privatisation dont « BPost » est le résultat le plus frappant.

Pour VEGA, il faut imaginer un modèle qui conserve ces outils dans la sphère publique, en garantissant leur mission de service public — j’y viens —, ce qui n’exclut pas d’adapter les véhicules juridiques si cela s’avère nécessaire. Nous souhaiterions que la Ville de Liège prenne une option claire dans cette direction, et en fasse part à l’ensemble des actionnaires de l’intercommunale avant l’Assemblée du mois de juin, qui débattra sans doute du nouveau modèle qui sera celui de Publifin.

Ajoutons que cette question du modèle de gestion se pose d’ailleurs, à des degrés divers, pour presque toutes nos intercommunales. Le modèle générique que nous défendons, avec VEGA, est que les intercommunales doivent devenir, à moyen terme, les départements opérationnels de la future Communauté urbaine liégeoise, laquelle sera dotée d’un Conseil élu directement et délibérant publiquement de la gestion et des orientations à donner à ces différents outils dont il assurera le contrôle en ligne directe. Un débat important doit être tenu à ce propos.

Le dernier élément sur lequel j’aimerais dire quelques mots, si vous me le permettez, Monsieur le bourgmestre, à propos de l’appréhension de l’intérêt communal dans l’avenir de Publifin, concerne ses missions de service public. C’est sans doute là qu’à mes yeux le bât blesse le plus durement. Nous appartenons à une tradition qui définit le service public de manière substantielle et le dote d’attributs propres qui font de lui un adjuvant des droits sociaux et des libertés démocratiques.

Un service public se caractérise d’abord par le contrôle qu’exercent sur lui les institutions démocratiques, aussi imparfaites soient-elles. Tecteo devenu Publifin s’est délibérément soustrait à ce contrôle, notamment par la filialisation dans des SA de droit privé de l’ensemble de son activité. Ce problème doit être corrigé.

Un service public se caractérise ensuite par une tarification garantissant l’accès de toutes et tous au service et par une qualité irréprochable de celui-ci. Sur ce point, des précisions intéressantes ont été données par M. Simon lors de l’exposé qu’il a fait ce samedi devant la Commission générale du Conseil, qui relativisent certaines choses que l’on a pu entendre par ailleurs. Elles me semblent cependant devoir être fortement précisées et soumises à un débat contradictoire avec des experts ayant un avis différent.

Un service public se caractérise encore par la transparence de son fonctionnement.

Un service public digne de ce nom pratique un dialogue social exemplaire. Il n’est pas certain que cela ait toujours été le cas au sein du groupe Publifin. La tension salariale importante qui y est toujours de mise aux dernières nouvelles est l’un des éléments qui devront être revus et dont l’ordre du jour de l’Assemblée générale de ce jeudi ne nous dit rien.

Un service public, enfin, met son action générale au service du bien commun. Je pense notamment ici aux investissements réalisés par OGEO Fund. Même si ce fond de pension est juridiquement distinct du groupe Publifin, il se trouve indéniablement dans son orbite. OGEO investit principalement dans l’immobilier. Selon quels principes ? Avec quelles finalités ? En attendant d’avoir aboli les retraites par capitalisation, n’y aurait-il pas sens à utiliser ce volant financier au service de politiques publiques qui requièrent des investissements pour lesquels appel est fait au secteur financier privé ?

C’est à ces différentes questions que je voudrais que nous puissions nous attacher.

Conclusion

Pour conclure cette intervention, je voudrais revenir sur l’émotion populaire extrême qui est suscitée par l’affaire Publifin. Elle semble hors de proportion si on la replace dans un contexte général : dans de multiples circonstances, chaque semaine, l’intérêt collectif est en effet beaucoup plus gravement préjudicié qu’il ne l’a été, en toute hypothèse, par les désormais fameux « comités de secteur » de Publifin — et il l’est sans que grand-monde ne s’en émeuve sérieusement.

À mes yeux, cette colère dit deux choses.

Elle dit d’abord une détresse sociale et un sentiment d’injustice. Face à une politique austéritaire qui impose à nos concitoyens des souffrances aussi pénibles qu’inutiles — car cette politique aggrave, de fait, une situation économique difficile plutôt que de recréer un dynamisme comme pourrait le faire, par exemple, une hausse généralisée des salaires. Quand le corps politique, qui est perçu dans son ensemble comme l’instigateur de cette politique absurde, donne à voir qu’il s’en exonère, la colère ne peut qu’éclater.

Mais elle dit aussi un sentiment d’impuissance. Cette colère aurait en effet lieu de se faire entendre sur de multiples sujets. L’évasion fiscale continuer à ravager impunément nos finances publiques. Les multinationales bénéficient en Belgique d’avantages indécents que même la Commission européenne dénonce aujourd’hui, sans que le gouvernement ne revoie en rien sa position. Et ainsi de suite. Mais ces enjeux, comme tant d’autres, sont largement perçus comme trop lointains, comme trop complexes, comme inatteignables. Et le corps politique est tenu pour responsable de cette impuissance collective à rétablir des équilibres élémentaires, à faire cesser des injustices flagrantes. Qu’une étincelle survienne et l’embrasement est inévitable.

J’en conclus que la réponse à donner à Publifin ne réside pas uniquement dans une hypothétique « moralisation » des mœurs politiques, ou plus concrètement dans la restauration d’un contrôle public satisfaisant sur Publifin ou sur d’autres structures — même si cela est bien sûr indispensable.

La réponse à donner à cette colère doit aussi se trouver dans la promotion d’un contre-modèle à celui qui produit aujourd’hui des injustices aussi structurelles que celles que nous observons dans la société, d’un contre-projet à l’exploitation de l’homme par l’homme dont nous sommes quotidiennement les témoins, à une résistance effective au règne indécent de l’argent qui mine nos vies en profondeur.

Paradoxalement, l’initiative industrielle publique — dont Publifin est, à sa manière, l’un des exemples les plus aboutis en région liégeoise — est un élément possible de cette réponse substantielle qu’il convient de donner. Sur ce point, Monsieur le bourgmestre, Mesdames et Messieurs les échevins et chers camarades socialistes, je vous reproche vertement de n’avoir pas su défendre vos fondamentaux, de vous être fait proprement enfoncer, tout occupés que vous étiez, que vous êtes toujours, à vous inquiéter de préoccupations périphériques. De n’avoir pas su défendre une idée qui devait être défendue.

Il en résulte une défaite pour la gauche et une défaite pour l’idée même de la politique, c’est-à-dire de la possibilité d’agir sur le cours des choses par les voies de la délibération rationnelle.

C’est peu dire que je le regrette.

François Schreuer
Conseiller communal (VEGA)