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« La pression fiscale belge est parmi les plus fortes »

Article paru dans Le Drapeau rouge, décembre 2007

Régulièrement, on trouve dans les médias des affirmations selon lesquelles la fiscalité belge, ou européenne, est trop élevée, étayées de comparaisons et de classements internationaux. Ca a encore été dernièrement le cas avec la publication d’un document intitulé « Paying taxes 2008 » |1|, réalisé sous l’égide de la Banque mondiale (BM) et dont les conclusions ont été fidèlement répercutées par les principaux journaux belges, sans critique ni mise en perspective.

Que dit ce document ? Son message central est simple et même simpliste : « la fiscalité, c’est le mal ». La fiscalité est systématiquement présentée comme nuisible et les paradis fiscaux sont érigés en références auxquelles chaque pays de la planète devrait s’efforcer de ressembler. Un second message, plus implicite, qu’on peut trouver dans cette « étude », c’est que la complexité d’un système fiscal est forcément une mauvaise chose. Certes, la complexité a un coût mais elle permet surtout d’organiser la fiscalité de façon fine pour répondre à des objectifs d’efficacité économique, de protection de l’environnement ou de justice sociale, entre autres choses. Il y a donc un équilibre à trouver entre deux impératifs contradictoires. N’accepter d’en considérer qu’un des deux comme le fait la BM n’a aucun sens.

Cette présentation manichéenne — et pour tout dire ridicule — des choses prêterait à sourire si ce discours n’avait pas l’impact très profond qu’on peut lui constater chaque jour. Il est donc utile de rappeler quelques arguments qui invalident cette approche. Car le taux de prélèvement obligatoire (TPO, terme qu’on préférera au très connoté « pression fiscale ») n’est en rien à lui-seul un indicateur de justice ou d’efficacité économique. Et l’évaluation de la pertinence d’un système fiscal ne peut être faite qu’en prenant en compte plusieurs critères.

1. Le TPO n’indique rien sur l’usage qui est fait des deniers publics. La première question à se poser par rapport à la fiscalité, c’est de savoir à quoi elle sert, quelles dépenses elle permet de financer, ce qui est une question politique. Entre des dépenses militaires et des dépenses de sécurité sociale, entre la construction, dans un pays industrialisé, d’une autoroute et celle d’un système de transports en commun, il y a des différences fondamentales. On ne peut évaluer la légitimité de la fiscalité sans en tenir compte, ce qu’essaie pourtant de faire la BM. 

2. Le TPO n’intègre pas le différentiel de prestations publiques. Si dans un pays A, le taux de prélèvement est bas, mais ne donne pas droit à une protection sociale, obligeant les citoyens à contracter une assurance privée représentant une part significative de leur revenu alors que dans un pays B, le taux est plus élevé mais garantit à tous les citoyens des soins de santé de qualité et un système de sécurité sociale performant pour un prix total moindre que dans A, tout le monde comprend qu’il est préférable de vivre dans le pays B. Tout le monde sauf la BM, qui compare des chiffres non comparables dans la mesure où elle n’intègre pas le différentiel de prestations publiques dans son calcul.

Car le raisonnement qui est applicable au système de santé et à la protection sociale l’est aussi, par exemple, à l’enseignement. Dans certains pays, les pouvoirs publics garantissent en effet la gratuité de l’enseignement, et l’accès à un enseignement supérieur de qualité à tous en échange d’une contribution financière modeste. Dans d’autres pays, l’inscription à l’université est beaucoup plus élevée que le revenu annuel moyen. Comparer deux situations aussi différentes sur base du seul niveau de prélèvement fiscal, sans intégrer la différence des prestations publiques, n’a strictement aucun sens.

3. Le TPO ne dit rien du degré de redistribution. Un même taux de prélèvement moyen peut être commun à un système très redistributeur et à un autre qui ne l’est pas du tout. Par exemple, un taux fixe sur tous les revenus, extrêmement inégalitaire, ou un taux qui peut être très variable selon le revenu, selon le fondamental principe de la progressivité de l’impôt. Or le degré de redistribution d’un système fiscal est un élément incontournable de son évaluation pour la raison que la fiscalité est d’abord et avant tout la matérialisation d’une politique publique. Sans doute est-ce là une chose qui est largement hors de la portée conceptuelle d’une BM qui n’a de cesse de réduire tout ce qu’elle touche à sa dimension technique.

À aucun moment, l’information donnée par la BM et consorts sur le niveau de la fiscalité dans les différents pays du monde ne permet de mettre en débat la question de ce que peut être une fiscalité optimale, juste ou efficace. Au contraire, cette information partiale et biaisée mène au dumping et au moins-disant fiscaux systématiques, qui se traduisent par la destruction des services publics et par des situations très profondément inégalitaires.

|1| Dont on pourra lire la version intégrale en ligne et en anglais à l’adresse suivante : http://www.doingbusiness.org/Taxes.