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Le tram-train est-il une solution adaptée à Liège ?

Certaines voix, dans le grand débat sur le transport public à Liège, ont évoqué l’hypothèse de réaliser un « tram-train » plutôt qu’un tram classique. Nous examinons ici la mesure dans laquelle cette solution technique pourrait répondre aux besoins particuliers de l’agglomération liégeoise.

Parmi la vaste panoplie des modes de transport public urbain aujourd’hui proposés par les fabricants, le tram-train n’est certainement pas le moins intéressant. Véhicule dérivé du tramway, capable de circuler indifféremment sur des voies de tramway classique et sur des voies de chemin de fer, il constitue un remarquable outil permettant d’interconnecter les réseaux entre eux, de faire entrer des lignes suburbaines au coeur d’un centre-ville — et donc de réduire les ruptures de charge dont on sait à quel point elle sont pénalisantes dans l’attractivité d’un réseau de transport public —, d’éviter de dupliquer des infrastructures là où ça ne se justifie pas pour d’autres raisons.

Sur le plan technique, les contraintes inhérentes à ce mode de transport hybride sont relativement limitées. Il faut bien sûr prévoir une interconnexion physique entre la voie de chemin de fer et le réseau urbain. Quant au matériel roulant, il peut indifféremment s’alimenter aux différentes tensions et est équipé des systèmes le rendant compatible avec la signalisation ferroviaire tout en répondant aux normes de sécurité propres au trafic urbain (en ayant notamment une distance de freinage plus courte). http://lechainonmanquant.be/IMG/jpg... <http://lechainonmanquant.be/local/c...> Tram-train de Karlsruhe.

C’est la ville de Karsruhe, dans le Bade-Wurtemberg, qui a joué le rôle de pionnière de ce mode de transport, en inaugurant en 1992 l’embryon de ce qui allait devenir, au fil des années, un réseau très important, totalisant aujourd’hui près de 400 km de lignes et dont le succès est tel qu’une mise en tunnel du tronçon central a été décidée. Un des éléments expliquant ce succès est l’intégration tarifaire qui a été mise en place et qui permet, avec le même titre de transport, d’emprunter tous les moyens de transports publics.

On peut ajouter que, depuis 1992, le matériel disponible a fortement progressé, notamment avec l’apparition de véhicules à plancher intégralement surbaissé, gage d’accessibilité à tous les usagers et de fluidité lors des arrêts. http://lechainonmanquant.be/IMG/jpg... <http://lechainonmanquant.be/local/c...> Saarbrücken, le premier tram-train à plancher bas. Source : Bombardier.

Lors d’un débat organisé ce mercredi 24 novembre par la plate-forme Tramliege.be concernant la complémentarité entre le tram et le chemin de fer, M. Luc Lebrun, ancien directeur au SPF Mobilité, a évoqué ces arguments pour plaider en faveur d’un réseau de tram-train à Liège, proposant notamment de déployer une ligne vers le Sart-Tilman via Colonster et de connecter la ligne 40 au centre-ville depuis Bressoux.

Si cet argumentaire ne manque pas d’intérêt et alimente utilement la discussion, certaines réserves nous semblent néanmoins devoir être émises concernant, en général, la pertinence de déployer un réseau de tram-train dans l’agglomération liégeoise et, en particulier, la proposition de M. Lebrun.

En effet, si la valorisation, pour la desserte urbaine, des importantes capacités ferroviaires disponibles dans l’agglomération semble une évidence à bon nombre d’observateurs et n’est d’ailleurs pas loin de faire consensus parmi les acteurs politiques et associatifs liégeois, cela n’implique pas nécessairement qu’il soit pertinent de fusionner le réseau urbain et le réseau suburbain, qui répondent à des besoins très différents, ne serait-ce qu’en termes d’intensité de la demande, très nettement plus conséquente en zone urbaine. La plupart des arguments que l’on avance en faveur du tram-train (valorisation de l’infrastructure existante, adaptation du matériel à une exploitation en zone urbaine, adhésion au projet des communes périphériques,...) seront en effet également rencontrés par un réseau de train léger. L’asbl urbAgora utilise d’ailleurs certains de ces mêmes arguments depuis un certain temps déjà en faveur du « REL », lequel, en tout état de cause, est nettement plus simple à mettre en oeuvre pour de nombreuses raisons (et notamment concernant les obstacles bureaucratiques à une telle idée, qui sont malheureusement une réalité).

De manière plus précise, il apparaît que le tram-train ne me semble pas à même de garantir un accès de plein-pied à tous les arrêts, sauf à normaliser la hauteur de tous les quais SNCB à 75 cm (ce qui est sans doute souhaitable, indépendamment de la question du tram-train) et à construire des quais de même hauteur en milieu urbain (ce qui est par contre gravement rédhibitoire sur le plan urbanistique). Ce problème est sans doute insoluble dès lors qu’on sait que les quais de la gare des Guillemins sont hauts de 75 cm. Or, en toute hypothèse, il semble difficile de concevoir un réseau de tram-train ne s’arrêtant pas aux Guillemins. Quant à renoncer à l’accès de plein-pied sur un nouveau système de transport en commun, on peut écrire que ce serait dramatique, notamment en ce qui concerne la question de l’accessibilité aux personnes handicapées.

Concernant la traversée du centre-ville, M. Lebrun évoque un service qui passerait partiellement par le centre et partiellement par Jonfosse. Le risque, ici, est de dupliquer les services avec des conséquences désagréables pour l’usager. C’est en particulier vrai si les mêmes destinations sont desservies par des véhicules passant, pour les uns à Jonfosse et pour les autres à Avroy : il y a là de quoi faire perdre beaucoup de temps à beaucoup de monde. Si, lorsqu’on se trouve rue Saint-Gilles et qu’on va à Seraing, il faut consulter l’horaire pour savoir si c’est vers Jonfosse ou vers Avroy qu’on doit se diriger, le système perd beaucoup en transparence.

Par ailleurs, le réseau suburbain (qu’il soit exploité en train léger ou en tram-train) permettra certes de gagner le centre-ville depuis la périphérie et inversement. Il devra cependant aussi permettre de passer directement de périphérie à périphérie, grâce à des lignes traversantes. De ce point de vue, le passage en « mode tram » au centre-ville constitue une importante perte de temps par rapport à la vitesse ferroviaire et est susceptible de grever sérieusement les performances d’une liaison Seraing-Herstal, par exemple. Ce serait d’autant plus regrettable que nous plaidons par ailleurs pour une différenciation des deux réseaux, afin de tirer le meilleur parti de leurs potentialités respectives, en expliquant qu’il n’est pas pertinent de rechercher la vitesse à tout prix pour le tram là où le même service sera offert, de meilleure façon, par le train.

Enfin et surtout, les opportunités envisagées pour déployer le tram-train ne semblent pas extrêmement convaincantes.

a) L’utilisation du tram-train pour relier la ligne 40 au centre-ville depuis Bressoux pose deux problèmes. D’une part, la desserte des quartiers situés le long de cette ligne, au Sud de Bressoux, est un enjeu essentiel (avec, en particulier, le point d’échange de Cornillon qui est stratégique pour la desserte de l’axe de la national 3 et donc des communes de Beyne-Heusay, Fléron ou Soumagne). D’autre part, l’accès à la gare des Guillemins est probablement aujourd’hui au moins aussi important, pour les usagers du transport en commun, que l’accès au centre-ville : c’est là que vont tous les navetteurs. Il y aurait quelque chose de très frustrant pour eux à rouvrir les arrêts de la ligne 40 en aval de Bressoux (Jupille, Wandre, Cheratte-Bas, Argenteau, Visé) sans permettre son utilisation en lien rapide avec les Guillemins. Il existe à cette difficulté une alternative qui est la construction d’un nouveau pont ferroviaire en aval de Liège, entre Bressoux et Coronmeuse, qui permet d’autres utilisations, notamment inter-urbaines ou fret. Cette alternative, apparemment fort lourde, ne serait pas nécessairement plus complexe à réaliser que la branche de tram-train : outre que ce projet dépendrait de la seule SNCB et non d’un accord entre SNCB et SRWT, il ne serait pas nécessairement plus coûteux que la ligne reliant Bressoux au centre-ville. Au niveau du train léger, ce pont, en permettant éventuellement le croisement d’une ligne de train-léger venant de Tongres ou Liers et se dirigeant vers les Guillemins via Bressoux, et une autre reliant Visé aux Guillemins via Liège-Palais, garantirait depuis Visé et Maastricht, l’accès aisé tant au centre qu’aux Guillemins, en offrant de surcroît des correspondances particulièrement intéressantes.

b) Concernant le Sart-Tilman, sans rejeter d’emblée l’hypothèse d’un grand contournement par Colonster, même si celle-ci devrait être particulièrement performante vu la distance à parcourir, il faut rappeler que le problème du Sart-Tilman est au moins autant un enjeu d’urbanisme qu’une question relevant de la technique du transport. Actuellement, même si la pointe du matin y est effectivement ingérable, les chiffres de fréquentation des lignes desservant le Sart-Tilman ne justifient probablement pas pas le déploiement d’une infrastructure lourde (tram, tram-train ou train) et pour cause : le Sart-Tilman a été pensé, de A à Z, pour l’automobile, ce qui est particulièrement évident dans l’éclatement des fonctions sur un espace fort vaste, et, hors des périodes — relativement limitées, dans la journée comme dans l’année — de fréquentation intensive des étudiants, ce transport serait vide car tous ceux qui le peuvent se rendent au S-T en voiture plutôt qu’en transport en commun.

c) Le seul point sur lequel le tram-train semble intéressant à étudier (mais que, curieusement, Luc Lebrun n’évoque pas), c’est entre Haut-Pré et Palais. En effet, il serait possible, dans cette hypothèse de mettre à quatre voies le tronçon situé entre Ans et Haut-Pré (au-delà, c’est quasiment impossible) puis de rejoindre le centre-ville via Fontainebleau et le Cadran. Cela dit, là encore, une possibilité ferroviaire alternative existe, avec la réouverture du tronçon Ans-Liers, permettant au passage de desservir Alleur, Rocourt, les Hauts-Sarts et Herstal (même si ce serait moins rapide). Donc, seul, cet argument ne me semble pas déterminant.

En l’état actuel de nos réflexions, le tram-train n’est donc pas nécessairement la solution la plus adaptée à l’agglomération liégeoise. Son irruption — relativement timide, tant qu’à présent — dans le débat public a toutefois le mérite de rappeler certains fondamentaux : primo, le tram perdra beaucoup de son sens s’il n’est pas interconnecté de manière soignée avec le train et si un réseau ferroviaire suburbain n’est pas mis en chantier rapidement ; secundo, la limitation des ruptures de charge doit être un souci permanent dans la conception du réseau ; tertio, il faut prendre résolument à bras-le-corps la question de l’intégration tarifaire entre réseaux, pour permettre aux usagers de passer, au sein de l’agglomération, d’un mode de transport à l’autre avec le même titre de transport, pour le prix d’un ticket de bus.

Par ailleurs, même si le tram-train n’apparaît pas aujourd’hui comme une solution évidente, il est souhaitable de garder ouverte la possibilité de l’utiliser à l’avenir, ce qui impliquer d’opter, dans l’infrastructure du tram, pour un gabarit compatible avec le tram-train, c’est-à-dire un écartement de voies standard (1435 mm) et une largeur des caisses de 2m65 (alors que des largeurs légèrement inférieures ont, à notre connaissance, été évoquées à plusieurs reprises).