Le gouvernement wallon pourrait prendre une décision définitive concernant le tracé du tram de Liège dès ce jeudi 10 novembre. Les attentes que les habitants de la ville et les usagers des TEC sont en droit de former à l’égard d’un tel investissement – 500 millions d’euros – ne sont pourtant pas encore rencontrées. D’abord, ce tram a manifestement été pensé sans lien avec le transport ferroviaire. La complémentarité semble absente entre le train – qui permet les déplacements les plus rapides – et le tram – que sa capacité destine à la desserte des zones les plus denses et des tronçons les plus chargés du réseau. Nous ne comprendrions pas que le tram ne s’intègre pas dans un concept de mobilité à l’échelle de l’agglomération, associant le développement d’un réseau express ferroviaire, le redéploiement du réseau de bus, la mise en valeur du vélo, une politique de stationnement automobile adaptée et l’organisation systématique de l’intermodalité : ces préoccupations sont pourtant quasiment absentes de l’étude technique.
Concrètement, l’intégration tarifaire entre le train et le transport urbain devrait être une priorité : chaque usager du transport public doit pouvoir utiliser tout titre de transport TEC sur le réseau urbain de la SNCB et inversement. Il est également indispensable que le tracé du tram permette de passer aisément d’un mode à l’autre, ce qui implique que le tram passe à proximité immédiate des gares, existantes ou à rouvrir. Ce n’est pas le cas dans le projet actuel. Par ailleurs, en choisissant de construire une ligne unique en fond de vallée plutôt que d’amorcer un réseau maillé, le tram tel qu’il est envisagé est loin d’optimiser l’investissement. Il laisse de côté des quartiers très peuplés et où les problèmes de mobilité sont considérables – Sainte-Marguerite ou le Longdoz, notamment – pour desservir des zones où la demande prévisible est loin de justifier un mode de transport aussi lourd que le tram. Il n’y a pourtant pas de fatalité : une étude a récemment montré qu’avec un même nombre de kilomètres de ligne, il est possible de desservir plus de deux fois plus de logements qu’avec le projet actuel.
Dans un scénario plus urbain, ce sont 40.000 personnes supplémentaires – notamment les habitants de la rive droite de la Meuse, très peuplée mais actuellement ignorée – qui pourraient être desservies par le tram. Un raisonnement similaire peut être tenu pour la localisation de l’emploi, pour la population scolaire ou pour le commerce. Ces données recoupent d’ailleurs la saturation actuelle du réseau des TEC, qui se trouve dans les zones les plus centrales de l’agglomération.
Ensuite, en optant pour un tracé longeant les quartiers, en imposant le « rabattement » de nombreuses lignes de bus (par exemple la ligne 58, vers le Sart-Tilman) vers le tram et en ne s’arrêtant, en moyenne, que tous les 750 mètres, le projet actuel pourrait dégrader la qualité du service de transport en commun offert à une part significative de ses usagers actuels. Il est dès lors indispensable de réorienter le projet vers un tracé passant au cœur des quartiers et s’arrêtant un peu plus souvent que ce qui est aujourd’hui prévu ; et de maintenir certaines liaisons de bus, notamment la liaison rapide entre le centre-ville et le campus.
Enfin, ce projet ne s’est accompagné, à ce jour, d’aucune concertation publique. Aucune séance d’information accessible à tous les citoyens n’a été organisée. Le Conseil communal de Liège n’a jamais tenu un débat en séance publique sur ce dossier. L’information précise concernant le futur tramway reste largement inaccessible pour le public, et même pour la plupart des élus locaux. Comment envisager l’adhésion de la population dans ces conditions ? Comment construire un projet qui réponde réellement aux besoins des habitants ?
À l’heure où la question d’une mobilité respectueuse de l’environnement est sur toutes les lèvres, le dossier du tram liégeois est emblématique : c’est en effet le plus grand investissement en termes d’infrastructure de transports publics envisagé par gouvernement wallon, hormis les grands projets cofinancés avec la SNCB. Afin de ne pas répéter des erreurs commises dans le passé, un devoir d’exemplarité, sur le fond comme sur la méthode, s’impose aux acteurs publics wallons pour traduire dans les faits la nouvelle gouvernance préconisée dans la déclaration de politique régionale. Avant toute décision, il nous semble donc urgent de tenir une réelle délibération, publique et argumentée, sur les enjeux du tram liégeois. Ce qui permettra sans nul doute d’améliorer le projet, au bénéfice de la collectivité.
Signataires : Didier Brick, président de la Régionale de Liège des Amis de la Terre, Dominique Dauby, secrétaire générale des FPS en province de Liège, Alain De Clerck, artiste plasticien, Pascal Durand, professeur ordinaire à l’ULg, Jean Englebert, professeur honoraire à l’ULg, Julien Fastré et Bernard Gabriel, respectivement responsables des locales de Liège et de la Basse-Meuse du Gracq, Jean-Marie Halleux, chargé de cours au Service de géographie économique de l’ULg, Pierre Havelange, président de l’Association des clients des transports publics (ACTP), Damien Henry, architecte, Michel Hubert, asbl NoMo-Autrement mobile, Caroline Lamarche, écrivain, Luc Lebrun, expert en mobilité, Luc Misson, avocat, Jean-Marc Namotte, secrétaire fédéral de la CSC Liège-Huy-Waremme, Christine Pagnoulle, chargée de cours à l’ULg, Christophe Schoune, secrétaire général d’Inter-Environnement Wallonie, François Schreuer, président d’urbAgora, Jean-Paul Tasset, président de la CCATM de Liège.
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