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Entretien

« Veiller à garantir l’égalité devant la mobilité »

Entretien avec Sophie Lebrun paru dans « La Libre Belgique »

Pour François Schreuer (Fédération des étudiants francophones), il faut dépasser le « simple marché de libre échange ».

Que vous inspire la Déclaration de Bologne ?

L’idée d’une harmonisation des diplômes et des cursus est bonne. C’est formidable d’imaginer que tout le monde pourra circuler, que le savoir se propagera ; le système de crédits est séduisant. Mais, vu le fonctionnement actuel de l’Union européenne, peu démocratique, nous avons des inquiétudes sur la concrétisation. Face aux groupes de pression tels l’ORT (la table ronde des patrons européens) et la Conférence des recteurs européens, nous réaffirmons nos exigences de qualité et d’accès à l’enseignement.

Que craignez-vous ?

La Déclaration parle d’une harmonisation en deux cycles, dont le premier est "qualifiant". Cela suppose une modification du paysage de notre enseignement qui, selon nous, ne se justifie pas. Nous craignons qu’on n’ait plus qu’un seul enseignement, et non plus l’universitaire et le non-universitaire, qui ont leurs spécificités. En outre, le premier cycle en 3 ans doit permettre d’accéder au marché du travail : que devient, dans ce cadre, la formation générale et théorique qu’assurent actuellement les candidatures universitaires ? Les Hautes écoles devront-elles modifier leurs objectifs ? Elles font bien plus actuellement que former des techniciens efficaces prêts pour le marché. L’enseignement, c’est aussi former des gens capables de se recycler. Par ailleurs, nous craignons que ce soient les entreprises et le marché qui déterminent le contenu des cycles. Et qu’on limite l’accès au 2e cycle. L’ORT a laissé entendre que "seuls les meilleurs" devraient y accéder.

Les étudiants font-ils entendre leur voix ?

Les lobbys sont puissants. Les étudiants et les universités sont peu entendus. Les recteurs ont voix au chapitre, mais leur attitude est parfois ambiguë : la tentation est grande, chez certains, de faire place à un système universitaire nettement plus privatisé. La tendance, au niveau de la Commission européenne, est à la construction d’un "marché de l’enseignement". Et l’Organisation mondiale du commerce prévoit la 3e vague de libéralisation : la santé et l’enseignement. Nous refusons cette logique. Le projet d’harmonisation européenne peut être l’occasion de faire une Europe plus sociale et citoyenne, plutôt qu’un simple marché de libre échange. Nous demandons comment garantir la liberté d’accès et l’égalité de tous devant la mobilité européenne : il faut un bon système de bourses. Il faut aussi préserver la qualité. Or, on va vers une dualisation. Quand on entend le recteur de l’ULB dire que dans 10 ans, il y aura les 100 grandes universités européennes et puis les autres, j’entends que 100 universités pourront conserver une bonne qualité d’enseignement et de recherche, et que seront reléguées au second plan celles qui ne sont pas financièrement intéressantes pour les entreprises, qui investissent dans des chaires.

Mais la Déclaration n’est pas contraignante.

Pas légalement, ni actuellement, ni directement. Cela dit, par le jeu de la concurrence entre pays On entend : "Si on ne s’adapte pas, on sera dépassé."

Le débat a atteint les auditoires ?

Le terrain est mal informé. Il y a là un énorme travail à réaliser.


Savoir plus

En juin, la Fef parlait d’"année blanche" pour cette majorité : de bonnes intentions, mais peu d’actions. Et aujourd’hui ?

Le programme de la majorité est très intéressant. Et la Fef a rarement été autant sur la même longueur d’onde que le ministre (Françoise Dupuis en l’occurrence). Mais on veut des résultats. Il n’est plus question de faire des déclarations à l’emporte-pièce : "Je veux allouer 1 milliard aux universités, x millions par là.

Allusion à ses priorités "d’après refinancement"

Oui. C’est ridicule. Elle n’a pas cet argent et, de toute façon, les priorités sont autres. Il faut d’abord réaliser le programme de la majorité : supprimer les droits d’inscription complémentaires (DIC) notamment : ils sont illégaux. La ministre a promis un rapport sur ce point en novembre 99 : où est-il ? Et la réforme des bourses d’études ? Françoise Dupuis avait un projet intéressant, mais il semble être mis de côté, parce qu’il n’y a pas d’argent et que la priorité de la Communauté n’est manifestement pas la liberté d’accès. Nous le regrettons. Ça fera bientôt 2 années blanches pour ce gouvernement ! Les ébauches de refinancement en 2004 seront sans doute avalées par les déficits cumulés, les salaires et autres impératifs financiers. Cette majorité ne réalisera pas ses objectifs. Nous réclamons une négociation sur les DIC et les bourses : voyons comment avancer, en "phasant" éventuellement le projet. Il manque aussi un décret-cadre, qui ne coûterait rien, qui donne une base légale à la participation dans les universités.

De nombreux présidents de la Fef sont aujourd’hui actifs sur la scène politique Vous y verra-t-on aussi ?

Je ferai certainement de la politique. Pas nécessairement en tant que parlementaire ou dans un parti : faire de la politique, c’est aussi s’engager dans un syndicat ou une association. Mais ce n’est pas pour tout de suite : j’ai 19 ans et j’ai envie de faire encore pas mal d’études, notamment la philo.