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En attendant le Brexit

Nous voilà donc arrivé au jour du référendum sur le Brexit. Le suspense est à son comble. Pour ma part, je le dis sans ambages : j’espère que le « leave » l’emportera. Parce que je pense que c’est une condition sine qua non, mais loin d’être suffisante, bien sûr, à un tournant vers une Europe démocratique et sociale.

Même si l’intégration ne me semble pas un objectif en soi, je suis assez d’accord avec Paul De Grauwe, qui déclarait les choses suivantes, ce mercredi, dans une interview au journal Le Soir . « Si la Grande-Bretagne reste dans l’Union européenne, elle va poursuivre sa stratégie qui consiste à bloquer chaque entreprise d’intégration. Voire même de tenter de déconstruire l’Union. Car elle rejette le modèle en vigueur actuellement en son sein, à savoir des décisions prises à la majorité des Etats-membres. Et cela, la Grande-Bretagne ne l’a jamais accepté. C’est un problème. Ils veulent un retour à un modèle intergouvernemental dans lequel chaque pays a un droit de veto. Ce n’est pas une bonne chose pour l’Union européenne. La Grande-Bretagne n’est pas le seul pays à souhaiter cela. Mais c’est le pays le plus important d’entre eux. » Ajoutant :« D’autres pays pourraient décider de se dégager de cette Union. Et je dis : qu’ils le fassent ! On ne va pas faire une Union avec les pays qui sont là à Contrecoeur. Les 28, ce n’est pas sacro-saint. On est sans doute trop nombreux. On est actuellement dans une dynamique qui conduira sans doute à terme à une désintégration. Je pense donc qu’il faut aller de l’avant. Avec en tête l’objectif de produire davantage de bien-être. Car l’Union européenne a réagi de manière catastrophique à la crise financière. »

Les nombreuses voix de gauche qui plaident contre le Brexit « au nom de l’idéal européen » (jusqu’à Varoufakis qui a, me semble-t-il, perdu là une bonne occasion de se taire) se fourvoient à mon avis complètement sur le rôle réel que le Royaume-Uni a joué dans le processus de construction européenne au cours des quatre dernières décennies et qui a essentiellement consisté à faire de l’Union un espace économique intégré mais dépourvu de mécanismes démocratiques élémentaires, à commencer par un Parlement souverain et par des règles d’harmonisation fiscale — soit tout ce que le Royaume-Uni déteste. Le Royaume-Uni a aussi joué un rôle décisif dans l’élargissement précipité de 2004, qui a condamné pour de nombreuses années le projet d’une Union protectrice des droits sociaux (et c’est précisément pour cette raison que le Royaume-Uni a agi en ce sens).

J’écris ceci sans enthousiasme, parce que la fin de cette campagne est marquée par l’assassinat de la députée travailliste Jo Cox et que je suis affligé par cette mort inacceptable.

J’écris ceci en sachant que les triomphateurs d’un éventuel Brexit — les Nigel Farage ou les Boris Johnson — sont à l’antithèse de tout ce que j’ai toujours défendu. Mais l’intérêt de la Grande-Bretagne, qui est assez clairement de rester dans l’Union, n’est pas celui du reste de celle-ci. Britannique, je serais probablement militant du « remain », au côté de Ken Loach ou de Jeremy Corbyn. Continental que je suis, je suis persuadé qu’il vaut mieux que la Perfide Albion redevienne insulaire.

J’écris ceci avec à l’esprit les saillies d’une violence inouïe lancée par toutes sortes de pompeux cornichons contre le vote populaire (d’où qu’il soit, finalement, britannique aujourd’hui, d’ailleurs demain), « en perte de repères » (sic), accusé de voter « avec ses tripes » contre la raison rationnelle qui trouve son incarnation parfaite dans les marchés boursiers — toute dissidence au consensus néolibéral étant immédiatement rangée, sans autre forme de procès, dans la catégorie du « populisme ». Vous croyez que j’exagère ? C’est exactement le thème de la chronique d’Amid Faljaoui de ce mercredi. Sans rire.

Mais non, trois fois non : dans le chef des classes populaires, il est parfaitement rationnel de voter contre la mondialisation néolibérale (dont l’Union, dans sa forme actuelle, n’est guère plus qu’un avatar) qui a éradiqué — et en Grande-Bretagne plus qu’ailleurs — tout un monde, toute une culture, qui a laissé sur le carreau des millions de personnes, qui a précarisé la majorité des travailleurs, qui a bousillé une grande partie des services publics. J’espère que le Labour de Corbyn pourra proposer une sortie par le haut à cette aspiration.

J’écris ceci, enfin, empli d’atermoiements, parce que l’Europe sociale est un rêve qui a manifestement sérieusement trébuché et qu’il faudra, en tout état de cause, de longues années avant de remettre en chantier et de faire aboutir le projet d’institutions européennes émancipatrices et protectrices des citoyens. Je pense pourtant qu’il y a quelque chose d’irréversible dans le projet européen, parce que je ne pense pas que les États (sauf peut-être l’Allemagne et la France) ont la taille critique pour jouer un rôle effectif de régulation dans une économie mondialisée. Ou pour le dire autrement : je pense que la gauche gagnera au niveau européen, ou ne gagnera pas.

On espère que les Espagnols, après les Grecs et les Portugais, ouvriront le chemin, ce dimanche, en mettant Unidos-Podemos dans de bonnes conditions pour former un gouvernement.