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La chimère de la régionalisation de l’enseignement

Ça ressemble plus à une diversion qu’autre chose : alors que l’actualité sociale est brûlante, qu’une grève générale est annoncée pour la semaine prochaine, que le gouvernement Di Rupo fait passer, les unes après les autres, à une vitesse rarement vue, des réformes qui détricotent notre modèle social, Jean-Claude Marcourt jette un énorme pavé dans la marre : avec le soutien allégué d’un groupe de « décideurs », il veut régionaliser l’enseignement. Et ça ne manque pas : le lièvre lâché, tout le monde lui court après. Et l’encre de couler, dans tous les quotidiens.

Quel est l’intérêt ? Quel est l’objectif ? Bien malin qui pourra l’expliquer. En quoi ouvrir un tel chantier (gigantesque, chronophage, épuisant d’avance) va-t-il en quelque manière que ce soit améliorer la situation concrète des écoles en Wallonie et à Bruxelles et l’enseignement qui est offert à leurs usagers ? Réponse — pour le moins floue — de l’intéressé : « dans l’organisation, la réponse aux besoins locaux, il y a des différences entre ce que la Wallonie souhaite et ce que Bruxelles souhaite ». Certes, mais encore ? Et puis en quoi la régionalisation va-t-elle apporter quoi que ce soit de plus que les bassins de vie, a priori bien mieux à même de « coller au terrain », comme le dit Marcel Cheron dans Le Soir de ce jour. N’y a-t-il pas autant de différences entre les besoins des zones rurales wallonnes et des grandes villes ? Entre le Brabant wallon tourné vers Bruxelles et le Sud-Luxembourg tourné vers le Grand-Duché ? On n’en saura pas plus pour le moment.

Ou plutôt si, mais du côté bruxellois, où les régionalistes locaux ne manquent évidemment pas de faire leur miel des saillies marcouriennes. Henri Goldman en tête nous explique, sur son blog , pourquoi il veut une régionalisation. Primo, « Bruxelles doit faire face à un boom démographique, alors que la population wallonne vieillit ». Secundo, « s’ils veulent avoir un avenir professionnel dans leur ville, les enfants [bruxellois] devront sortir de l’enseignement obligatoire en maîtrisant honorablement le français, le néerlandais et l’anglais » tandis qu’« aucune exigence de ce type n’est préconisée pour l’enseignement en Wallonie ». C’est net ! Et ça sue la condescendance tant de fois rencontrée, déjà , de la part du courant régionaliste bruxellois à l’égard de la Wallonie.

Bruxelles connaît un boom démographique ? Certes,… N’est-ce pas une raison de plus de mutualiser les énergies ? Comment la RBC va-t-elle financer les écoles supplémentaires dont elle a besoin ? On l’ignore. Soit dit en passant, selon les perspectives démographiques du bureau du plan, la Wallonie gagnera un million d’habitants d’ici 2060 . C’est, je le concède, proportionnellement moins qu’à Bruxelles, mais c’est malgré tout considérable, a fortiori lorsqu’on sait que cette augmentation démographique sera très irrégulière sur le territoire (certains arrondissements devraient connaître une augmentation de 40% de leur population).

Le second argument est proprement hallucinant. Au nom de quoi les Wallons auraient-ils moins besoin que les Bruxellois d’apprendre les langues ? Le propos me semble tellement consternant, tellement méprisant, que les bras m’en tombent. S’imagine-t-on qu’un enfant né quelque part y restera toute sa vie ? S’imagine-t-on que quelques dizaines de kilomètres suffisent à segmenter des réalités sociales complètement distinctes : les habitants de la capitale d’un côté, polyglottes et ouverts sur le monde, et les bouseux wallons d’un autre, à qui le français suffira bien ?

Pour ma part, je n’ai pas envie d’institutions qui favorisent ce genre de représentations douteuses. Je refuse le découpage du territoire en petits morceaux au nom de croisades identitaires telles que les mènent généralement les régionalistes, fussent-ils Bruxellois et sympathiques. Et je pense que la « Belgique à quatre », ce nouveau slogan, est un édifice déséquilibré, structurellement voué à l’écroulement (pour des raisons déjà expliquées ici et et sur lesquelles je reviendrai prochainement).

Ah, encore une chose. On notera que celles et ceux qui s’attaquent fièrement à la Communauté française honnie (oui, elle s’appelle toujours comme ça dans la Constitution ; il ne sera pas question ici d’une fédération machin-truc) se gardent trop souvent de même évoquer une rationalisation des réseaux d’enseignement, pourtant beaucoup plus susceptible d’améliorer la situation de l’enseignement francophone... si tant est que leur objectif soit bien l’amélioration de celle-ci.