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Compte-rendu

Evaluation du projet de Ville

Outre le budget, un volumineux – 186 pages – document d’évaluation du Projet de Ville (pdf, 1,6 Mo) était à l’ordre du jour des Conseils communaux de ce mois de décembre 2014. Il a été débattu ce mardi 16 décembre, en apéritif aux débats budgétaires.

Voici retranscrit d’après mes notes l’essentiel de mon intervention sur le sujet.

Le catalogue que vous nous présentez ici est particulièrement vaste — la plupart des aspects de la politique communale y sont traités — et en aborder toutes les facettes nous prendrait aisément la soirée. J’ignore quelle est la manière adéquate de débattre d’un tel document. J’opterai donc pour une approche pointilliste, en relevant, sans souci d’exhaustivité mais en espérant dégager quelques lignes générales, quelques éléments saillants, qui me semblent mériter qu’on s’y arrête. Et si je ne disconviens pas que vous puissiez mettre à votre actif certaines avancées, je pense qu’il est de mon rôle d’opposant de souligner plutôt les faiblesses et les impasses.

Mobilité. Commençons avec le vélo, l’avancée du Plan communal est indéniable et produit de premiers effets intéressants dans le fond de vallée. Je crains cependant qu’on ne se contente de cela, alors que les enjeux sont bien plus larges. À la fois au plan qualitatif — nous avons besoin d’itinéraires cyclistes structurants plus conséquents que de simples marquages routiers — et au plan quantitatif — il est temps maintenant de parler des quartiers qui ne se trouvent pas dans le fond de vallée. Et de cesser de manquer, les unes après les autres, des occasions de créer des itinéraires manquants — je pense une fois encore ici à la rue Saint-Laurent, dont la réfection se termine sans qu’aucune piste cyclable n’ait été prévue, ne serait-ce que dans le sens montant, alors qu’il s’agit du principal accès pour les cyclistes depuis le centre-ville vers le plateau allant de Cointe à Saint-Nicolas.

Sur la mobilité, je note que, pour la première fois, des éléments sont données en ce qui concerne la réorganisation à venir du réseau de bus, consécutive à l’arrivée du tram. Sur ce chapitre, je vous avoue ma grande inquiétude. Pour une raison simple : au vu de la fréquentation actuelle du réseau TEC, il ne fait pas de doute que le tram – vu le nombre de lignes qu’il va remplacer – sera rempli et même très bien rempli. Je ne doute d’ailleurs pas qu’il faudra rapidement augmenter la fréquence de passage par rapport à ce qui est pour le moment envisagé. Mais la logique de rabattement systématique de toutes les lignes de bus sur cette unique ligne de tram va trop loin et ne peut déboucher que sur un engorgement de cette dernière. L’intermodalité, Monsieur le bourgmestre, Monsieur le Premier échevin, ne saurait consister à multiplier les ruptures de charge. Il s’agit donc de maintenir des lignes de bus entrant en ville, sur des itinéraires complémentaires à celui du tram.

Je relève un troisième point en matière de mobilité, parmi beaucoup d’autres. Il s’agit de l’autopartage. Là encore, vous affichez un bilan positif, une case verte dans votre tableau. Pourquoi ? Parce qu’une nouvelle station Cambio a été inaugurée cette année portant à… 21 le nombre de voitures disponibles sur le territoire communal. 21 voitures partagées pour 200.000 habitants. On n’est pas rendu…

Stationnement. Deux points retiennent mon attention.

D’une part, je note avec intérêt que vous annoncez des normes en matière de stationnement minimal dans le cadre des constructions en fonction de leur localisation. Puis-je en conclure qu’une refonte du Règlement communal d’urbanisme (RCU) va — enfin — arriver à notre ordre du jour ? Je m’en réjouirais,… pour autant que les choses prennent un tour quelque peu différent de ce que je devine. Car, en centre urbain, là où l’offre de transport public est importante, les normes de stationnement doivent à mon estime — et je ne fais ici que me référer à ce que pratiquent la plupart des métropoles européennes — être des normes maximales et non des normes minimales. Il est inconcevable qu’en 2015, il soit encore possible, lorsqu’on construit une maison en centre urbain – certes, ce n’est pas très fréquent, mais cela arrive -, de se voir imposer la construction d’un garage !

D’autre part, je constate que vous ne sortez décidément pas de la contradiction dans laquelle vous vous êtes mis, et bien mis, en cherchant à augmenter l’offre de stationnement au centre-ville, par la construction de nouveaux parkings souterrains,… tout en expliquant que le centre a vocation, avec l’arrivée du tram, à être, beaucoup plus qu’aujourd’hui, libéré de la voiture. Et lorsqu’on explique, comme vous l’avez fait à l’une ou l’autre reprise, que ces nouveaux parkings au centre-ville sont en fait des parkings de délestage (car situés à la bordure du centre-ville), vous me faites penser à feu Michel Daerden qui expliquait sans rire que l’autoroute A602 était… un « ring central ». Ça ne s’invente pas !

Espaces verts. Je suis heureux que la doctrine de votre majorité ait évolué depuis la précédente mandature : vous ne vous réfugiez plus derrière la présence du Sart-Tilman et des chiffres moyens à l’échelle du territoire de la Ville pour éviter d’affronter la question de la présence — de la nécessaire, de l’indispensable présence — d’espaces verts dans les quartiers denses, dans chaque quartier dense. Je m’étonne cependant que cette importante évolution doctrinaire de votre majorité n’ait débouché, depuis maintenant deux ans que vous l’avez édictée, sur aucun projet d’espace vert nouveau. Je me réjouis, bien sûr, de la finalisation annoncée du parc Sainte-Agathe, dans le quartier de Sainte-Marguerite, du parc des Quatre-Tourettes à Jolivet-Coronmeuse ou de la réfection — même si le projet aurait pu être meilleur, mais n’ergotons pas — de la place de l’Yser. Mais enfin : ce ne sont là que de vieux dossiers, dont on parle depuis des années et qui se réalisent — peut-être — seulement. Quid de Bressoux ? De Fragnée ? Du Longdoz ? Avez-vous des projets pour ces quartiers ?

Energie. Continuons, si vous le voulez bien, sur ce mode pointilliste. L’un de vos objectifs s’intitule « Lutter contre la précarité énergétique ». Et vous faites bien : la question est d’importance. Quelle évaluation faites-vous de votre action sur ce chapitre ? Je cite : « Action réalisée ». Je crois — malheureusement — que ça se passe de commentaires. Nombreux seront certainement, parmi nos concitoyens, celles et ceux qui apprécieront votre très grande autosatisfaction si elle doit leur revenir aux oreilles.

De même, la rénovation et l’isolation des bâtiments communaux se poursuit. Je m’en réjouis. Mais à quel rythme avancez-vous ? Si, comme je le crains — bien des fois nous en avons déjà parlé —, ce rythme est inférieur à celui de l’usure normale du bâti (par exemple pour les châssis, qui doivent bien être remplacés au bout de quelques dizaines d’années), on recule en fait plus qu’on avance. Ne serait-il pas préférable que, plutôt que des chiffres concernant les seuls travaux de l’année, vous nous fournissiez un tableau de marche, indiquant, pour l’ensemble des bâtiments communaux, où nous en sommes ?

Citoyenneté. Ici encore, on pourrait dire beaucoup de choses. Énormément. Je me contenterai de souligner combien le satisfecit que vous vous octroyez généreusement me semble bien peu refléter la perception de la plupart des habitants de cette ville.

Cela me semble en particulier évident — et je me contenterai de ce seul exemple, car il y aurait beaucoup trop à dire pour aller au fond sur cette question — dans l’accès à l’information — qui est de toute évidence la condition sine qua non de la citoyenneté — comment peut-on imaginer participer à un processus démocratique si l’on n’est pas informé des ses enjeux ; si l’on n’est même pas informé, bien souvent, de sa simple existence. L’information est un préalable à la citoyenneté — préalable qui reste extrêmement difficile non seulement pour les citoyens de la Ville, mais également — vous m’excuserez de le rappeler et je regrette que Mme l’échevin Yerna ne soit pas là pour m’entendre le dire — pour les conseillers communaux de l’opposition, qui doivent parfois réclamer une demi-douzaine de fois un document avant de l’obtenir… ou pas.

Connecter Liège. Vous voulez « connecter Liège ». Et je ne peux que vous approuver. Je note cependant que l’expérience fournie par le wifi gratuit semble bien décevante — une nouvelle usine à gaz, si vous me permettez l’expression, loin d’avoir l’efficacité et la simplicité d’utilisation qu’on attendrait de ce genre de dispositifs.

Connecter Liège, donc ? Pensez-vous prendre des initiatives en vue de mettre les réseaux de fibre optique déjà présents sur le territoire de la Ville au service de ses habitants et de ses entreprises. Là où en France, la fibre à domicile (FTTH, dans le jargon) est en train de se généraliser dans les grandes villes, pour le prix d’une connexion internet belge normale, nous vivons toujours avec des débits franchement ridicules. Le potentiel du développement de la fibre optique est pourtant immense, il ouvre la porte à la création de nouvelles activités, à d’importantes économies d’énergie en remplaçant certains déplacements, etc. Pourquoi attendre que tout le monde s’y soit mis ? Pourquoi ne pas prendre les devants dans ce domaine ? Pourquoi ne pas donner à ceux de nos concitoyens qui veulent prendre des initiatives — économiques, culturelles, les applications sont quasiment illimitées — de disposer de cet outil ? Je ne lis pourtant rien à ce propos dans votre chapitre visant à « connecter Liège ».

Je ne dirai rien aujourd’hui sur le site web de la Ville, sachant qu’une nouvelle version est en cours de production — nous en avons déjà parlé. Je me contente de formuler le vœu que cette refonte soit à la hauteur de ce que le citoyen est en droit d’attendre ; c’est-à-dire que le web cesse d’être conçu, dans le chef des autorités de notre ville, comme un élément statique, ne servant qu’à de diffuser de l’information selon une logique top-down, mais qu’il devienne une véritable interface entre le citoyen et la Ville. Ce dont on est fort loin.

Encore un élément sur ce point : l’action visant à assurer la retransmission des Conseils communaux — même si je suis heureux de voir comment cette thématique, qui n’était portée que par VEGA lors des dernières élections, a progressé en deux ans — est présentée comme « réalisée ». Dois-je comprendre que la réalisation d’une expérience pilote en 2013 — réussie, certes — vous paraît constituer un effort suffisant pour la mandature en cours ? Pensez-vous peut-être organiser une seconde retransmission aux alentours de 2020 ? Est-ce que c’est une blague ?

Logement. Venons-en au logement. Et au logement public, d’abord. Vous prévoyez la construction de 164 logements publics (d’ici la fin de la législature, si je comprends bien). 164 ! Et vous vous dites satisfaits. Là encore, c’est une petite case verte qu’on retrouve dans votre tableau d’évaluation. Alors que 1000 logements ont été détruits à Droixhe ! Alors que les besoins sont immenses — on parle de 3000 foyers en demande d’un logement ! Alors que ce chiffre sera loin de permettre d’atteindre — ne serait-ce que cela — les 10% de logements sociaux requis par la Région wallonne ! Je n’ignore certes pas la difficulté qu’il y a à dégager les moyens nécessaires à mener une politique plus ambitieuse que celle que vous proposez ; je ne dis pas que vous êtes les seuls responsables de cette situation. Mais la moindre des décences est de ne pas considérer que la situation est satisfaisante parce que vous envisagez de construire 164 logements !

Secundo, le logement étudiant. Votre politique vise à faire sortir le logement étudiant de chez les particuliers, pour le localiser dans les homes étudiants spécialement adaptés ; avec l’objectif déclaré de rendre les maisons unifamiliales aux familles. Je peux, dans une certaine mesure, entendre l’argument — quoique les besoins en petits logements soient considérables, et ne concernent pas que les seuls étudiants, loin s’en faut — mais je m’inquiète de voir que les homes étudiants qui ont été construits à Liège ces dernières années proposent des loyers inaccessibles à la classe moyenne, a fortiori à la classe populaire. En laissant ces kots à 500 EUR par mois et plus s’imposer petit à petit comme la norme, je pense donc que nous sommes en train de mettre de nouveaux obstacles à la démocratisation des études et je m’en inquiète vivement. Bref : que faites-vous pour favoriser la présence de logement étudiant à prix démocratique sur notre territoire communal ?

Troisième point concernant le logement : l’Agence immobilière sociale (AIS). Là, la situation est tellement désespérée que vous ne donnez plus le moindre chiffre. Ça se passe de commentaire. Une fois encore, je regrette que Mme Yerna soit sortie de séance et n’écoute pas ce que l’opposition a à dire à ce propos.

Embellissement de la Ville. Nous approchons de la conclusion. Disons encore un mot de ce chapitre un peu fourre-tout dans lequel il est question de « l’embellissement de la ville ». Vous annoncez la création de deux zones 30 d’ici la fin de la législature. C’est peu mais c’est déjà ça. Continuez !

En matière d’art public, contrairement à l’AIS, nous avons des chiffres. Sont donc placées dans l’espace public, en moyenne, quatre œuvre d’art par an. Avouez que ce n’est pas énorme…

Venons-en au commerce du centre-ville, que vous dites vouloir défendre. Je vous avoue que je ne comprends pas comment vous pouvez affirmer cela tout en laissant se poursuivre la construction de centres commerciaux périphériques. Rien que ces dernières années, on note l’extension du Cora de Rocourt, une extension de la Médiacité, une extension à venir de Belle-Île (nous en avons parlé dans le cadre du débat sur le PCAR d’Angleur). Il est pourtant évident — a fortiori en période de stagnation économique — que cette fuite en avant est une impasse, qui ne peut déboucher sur sur déplacement du commerce — hors des noyaux historiques — et non sur une extension infinie de son activité, laquelle au demeurant poserait bien des questions sur le modèle social, environnemental et économique qu’elle sous-tendrait.

Sur le commerce, après avoir prévu de promouvoir des ouvertures en soirée, vous annoncez maintenant votre volonté de voir les commerces ouverts le dimanche — en commençant par un dimanche par mois. Alors, certes, le présent débat n’est pas le lieu de remettre sur le tapis les orientations de votre Projet de Ville et d’en débattre au fond — mais bien de l’évaluation que vous en faites. Cependant, dès lors que vous « réorientez » cette action, vous me permettrez de dire trois mots de mon désaccord profond, viscéral, avec cette politique de flexibilisation de l’emploi à quoi revient cette extension des heures d’ouverture des commerces. Nous savons très bien que les salariés les plus précaires ne seront pas en mesure de refuser de travailler le dimanche. Et la banalisation de ce travail du dimanche à laquelle vous poussez a notamment pour conséquence de priver ces travailleurs des compensations auxquelles ils pouvaient jusqu’à présent prétendre. C’est inacceptable !

International. Je note la persistance de ce label « LIEGE TOGETHER », dont je vous avoue bien humblement que je n’ai toujours pas bien compris à quoi il servait, ni ce qu’il apportait. Liège veut s’ouvrir à l’international ? Fort bien, que l’on commence par traduire dans les langues des pays limitrophes les principaux éléments de communication de la Ville, à commencer par les éléments essentiels de son site web.

En conclusion, Mesdames et Messieurs les échevins, Monsieur le bourgmestre, à la lecture de ce document, j’ai principalement deux choses à vous reprocher. D’une part, un grave et récurrent déficit de planification territoriale. Qui mène à transformer des situations hautement intéressantes en fiascos urbanistiques ; je pense à la plaine de Bressoux, où l’on est en train d’agglutiner les fonctions sans aucune vision d’ensemble, alors que ce site est l’un des plus stratégiques situés sur le territoire communal ; je pense à Bavière, où ce qui se prépare est — faute de disposer d’une vision d’ensemble — bien éloigné de la cohérence et de la qualité du Master plan précédent ; je pense à Chênée. Ce déficit de planification se traduit donc par un gaspillage de temps et d’espace, et par la médiocrité spatiale que produit le laisse-faire, que les générations à venir auront bien du mal à comprendre. Peu importe le nom que prendra cet outil — schéma de structure, plan directeur,… — mais je vous adjure de vous doter d’une vision de l’évolution possible et souhaitable du territoire communal à 20 ou 30 ans, et d’en tirer une stratégie qui vous permettra d’organiser le développement territorial de la Ville d’une manière plus réfléchie qu’actuellement. D’autre part, un criant manque d’ambition, une incapacité à vous fixer des objectifs élevés. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, et les petits sauts de puce dont vous vous félicitez à tour de bras dans ce document témoignent, une fois encore, de la prégnance de ce mal local que j’ai nommé todibonisme.