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Todibonisme

Chronique à la revue A+, avril 2011

L’auteur de ces lignes, cycliste quotidien de son état, a récemment participé sous une casquette associative à une réunion portant sur l’évaluation de la politique du vélo d’une grande ville de Wallonie. Il s’agissait de coter, sur une échelle de zéro à quatre, une vingtaine d’indicateurs. Au cours de la réunion, un représentant de l’autorité communale, qui n’avait quasiment rendu que des cotes de trois ou quatre, s’est exclamé : « Vous êtes courageux, les cyclistes, de faire du vélo dans cette ville, moi je n’oserais jamais, c’est beaucoup trop dangereux ». Quoi qu’il en soit, à en croire la grille d’évaluation qu’il avait remplie, notre homme — dont le nom importe peu — était prêt à considérer la situation des cyclistes deux fois meilleure qu’à Gand ou Louvain.

Loin d’être isolée, cette anecdote est malheureusement emblématique d’un comportement que l’on rencontre sans cesse, d’une complaisance vis-à-vis d’eux-mêmes qu’entretiennent de trop nombreux responsables publics de cette région — même si on ne saurait bien sûr généraliser ce constat.

Ce phénomène, on peut le nommer « todibonisme ». Du wallon « C’est tôdi bon insi » (C’est toujours bon comme ça). Le « todibonisme », c’est la loi du moindre effort, c’est une langueur contagieuse, un renoncement avant d’avoir commencé, le refus de principe de la recherche de l’excellence.

Dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme, ce « todibonisme » n’est sans doute pas pour rien dans le monopole que de grosses structures ont parfois tendance à détenir sur certains marchés publics, dans la difficulté des jeunes bureaux à émerger en Wallonie, dans la rareté des procédures de concours et de manière générale dans la faible qualité des procédures de sélection des projets (la rémunération des participants ou l’indépendance des jurys restant du domaine de l’exception) ou dans la faiblesse récurrente des budgets consacrés aux postes relevant de la création. Il explique sans doute en partie que telle intercommunale qui doit construire l’annexe d’un hôpital néglige complètement l’enjeu architectural de cette construction pour privilégier, sans même se poser la question, un style « fermette néorurale » qui est, il est vrai, favorisé par une réglementation à certains égards excessivement tatillonne. Il explique, par exemple, que l’enjeu majeur que constitue la réhabilitation du site du Val Benoit, à Liège — l’un des principaux ensembles architecturaux des années 1930 en Wallonie — ne fasse pas l’objet de toute l’attention requise, ainsi que l’ont récemment dénoncé plusieurs architectes. Il explique peut-être que la région ne se soit toujours pas dotée d’un Maître architecte ou de dispositifs comparables (éventuellement à une échelle plus proche des villes que de la région).

Aller à l’encontre de cette tendance est une chose aussi difficile qu’indispensable. C’est une nécessité politique et économique. C’est aussi une nécessité culturelle.

 

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