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« Baisser votre salaire (indirect) de 20%, c’est bien ! »

Parfois, je regarde le journal télévisé. Mais pas trop souvent. Parce que ça me donne à chaque fois la même envie de m’exiler au milieu de la pampa.

Ce soir, le journal de la RTBF consacrait un sujet à la confédération de la construction qui réclame un « choc de compétitivité » par le moyen d’une « baisse des charges », à hauteur de 6 EUR/heure (excusez du peu).

La séquence commence par l’interview d’un « petit patron » qui explique en substance qu’il est foutrement attaché aux vraies valeurs vraies, qu’il n’engage que des locaux « parce qu’ils font vivre l’économie » (un bon point). « Il y a une fierté », dit-il « on les connait, ils nous connaissent » (encore heureux). « On est une entreprise familiale ». « C’est du bon sens », répète-t-il plusieurs fois. Et ainsi de suite. Quel brave homme, on en aurait presque la larme à l’œil.

Mais badaboum ! Voilà que les travailleurs détachés sont en train de mettre le souk dans cette belle harmonie. « Ils reviennent bien moins cher que les Belges », dit la voix off (ah, c’est vraiment ballot), avant de passer la parole au représentant de la confédération de la construction pour plaider, donc, en faveur du « choc de compétitivité » (c’est-à-dire une coupe drastique dans les salaires).

Charles-Eric Claisse, professeur de droit à l’ULB, est alors interrogé. Il rappelle l’évidence : le système des travailleurs détachés (qui, pour rappel, permet même d’engager des travailleurs locaux pour travailler localement mais avec un contrat de travail d’un autre Etat-membre de l’UE, ce que la RTBF semble ignorer) est inacceptable, et la moindre des choses serait d’appliquer le même taux de cotisation à tous les travailleurs.

Cette intervention semble cependant immédiatement oubliée : on passe en plateau pour un petit cours d’économie, infographies à l’appui, qui va marteler les bases de la doxa économique en vigueur : compétitivité + croissance économique = emploi. Conclusion de la « journaliste » Clémence Dath (je cite) : « Baisser les charges, c’est bien, mais relancer l’activité est aussi nécessaire ». On hallucine (si j’avais le temps, je crois que je déposerais plainte pour non-respect de la déontologie journalistique la plus élémentaire.).

À aucun moment, la RTBF n’explique que ces fameuses « charges » dont elle nous explique qu’il est bon de les « baisser » sont en fait du salaire différé, qui alimente les caisses de sécurité sociale. Et que si l’on réduit ces « charges » de 6 EUR/heure, il ne restera quasiment rien pour financer les pensions, les soins de santé ou l’assurance chômage.

C’est un peu comme si la RTBF vous disait en face : « On va baisser votre salaire de 20 % et c’est cool ! ». Évidemment, ça passerait moins bien.

Au-delà de cette complaisance plus que regrettable de notre service public audiovisuel, on s’interroge aussi sur la capacité du patronat à mener son raisonnement à terme.

Comment est-il possible de comprendre et d’expliquer que les salaires sont réinjectés dans le circuit économique sans réaliser qu’il en va exactement de même des prestations sociales ? Et que les 6 EUR/h que les patrons de la construction veulent retirer du salaire (indirect) de leurs ouvriers vont forcément manquer quelque part (chez les malades, chez les retraités, chez les chômeurs,...) et anémier inéluctablement le circuit économique général.

Pourquoi la confédération de la construction ne milite-t-elle pas plutôt pour l’abolition du système des travailleurs détachés ?

Comment notre bon patronat bleu-blanc-belge ne comprend-il pas que la logique de la compétitivité est sans fin : qu’au « choc de compétitivité » qu’il réclame répondront d’autres mesures du même type dans d’autres pays, pour finalement nous mener tous à la ruine ?

Ça me dépasse...