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Comment « la bonne gouvernance » peut nuire au bio dans les cantines

Ce jeudi 16 mars avait lieu, dans le cadre du festival « Nourrir Liège 2017 », une très intéressante table ronde sur la façon dont il est possible d’aller vers le bio dans les crèches et les écoles (merci aux organisatrices !). Au-delà du principe, qui fait de plus en plus consensus, il s’agissait d’examiner, de façon plus concrète, les modalités selon lesquelles cette transition va pouvoir s’organiser.

Parmi un riche panel de défenseurs du bio et des circuits courts, l’échevinat de l’instruction publique était représenté, de même que l’intercommunale ISOSL, qui produit quotidiennement tous les repas destinés aux crèches et aux écoles de la Ville de Liège (répartis sur 160 sites !). L’échange fut particulièrement intéressant.

Pour ma part, je retiens en particulier une chose, c’est la difficulté que représente, de fait, la loi sur les marchés publics face à la réalité d’un secteur bio composé de nombreux petits producteurs — d’où le titre de ce billet — un brin provocant admettons-le. Le constat n’est pas nouveau et pas spécifique au secteur (nous en parlions déjà dans le programme électoral de VEGA de 2012) mais il est ici assez criant.

Je m’explique donc : la législation sur les marchés publics a été fortement durcie au nom d’un discours sur l’intégrité de la gestion des affaires publiques (dans le lexique libéral : « la bonne gouvernance »), au nom d’un soupçon implicite justifiant un contrôle tatillon de la dépense publique. Il se trouve que cette législation rend aujourd’hui la tâche des administrations publiques beaucoup plus difficile que celle des acteurs privés, qui peuvent profiter des opportunités qui passent sur le marché et utiliser des procédures d’achat simples et rapides, là où les choses sont nettement plus complexes pour une administration ou une intercommunale.

Ainsi, cette législation interdit de faire des « marchés scindés ». Par exemple, si vous représentez un pouvoir public et que vous devez acheter une tonne et demie de pommes (ou de viande de bœuf, ou de poireaux,…), vous n’avez pas le droit d’acheter 300 kg à un producteur, 700 à un deuxième et 500 à un troisième. Vous n’avez pas non plus le droit de saisir l’occasion d’une marchandise de belle qualité à prix correct que l’on vous propose à l’occasion. Vous devez passer un unique marché (éventuellement divisé en « lots », ces derniers devant être de nature différente), ce qui a pour conséquence d’exclure les plus petits acteurs et de réserve le marché au seul grossiste capable de répondre à la demande dans son ensemble.

Les conséquences de cette situation sont assez dramatiques : domination des grossistes et autres intermédiaires sur la chaîne alimentaire (au détriment, le plus souvent, des producteurs), avantage concurrentiel laissé au secteur privé qui dispose de plus de marges de manœuvre, en sorte qu’une tension s’installe en faveur de la privatisation de services jusque là assurés par le secteur public, diminution de la qualité des repas proposés aux usagers.

Bien sûr, ce constat est loin de vider le débat pas plus qu’il n’exonère les responsables publics d’une gestion parfois assez poussive. Des alternatives sont en effet envisageables, pour augmenter le poids des producteurs locaux (via des coopératives capables de concourir dans de tels marchés) ou réduire la dimension des cuisines collectives, qui ont été fortement centralisées au cours des dernières années. Il n’empêche : le législateur sera bien inspiré de se pencher sur cette situation.

Quelques autres éléments notés au fil de la discussion (de façon pas du tout exhaustive) :

  • Aujourd’hui, en restauration collective, 35% de la nourriture termine, en moyenne, à la poubelle : il y a donc là un énorme gisement d’économies. Avec la réduction de la quantité de viande dans les repas, c’est l’une des deux grandes sources d’économie qui pourraient permettre de passer au bio sans augmenter le prix des repas.
  • J’ai à nouveau posé la question de savoir à quoi vont servir les 70.000 EUR que nous avons obtenu au budget 2017 pour le bio dans les cantines — et comment la transition va s’organiser, va être phasée. Je n’ai pas obtenu de réponse, mais l’échevinat en promet une prochainement…
  • À ce jour, ISOSL, contrairement à d’autres acteurs de la restauration collective, ne fait réaliser aucun test pour détecter les résidus de pesticides dans les aliments qu’elle utilise. Mais la table ronde de ce jour pourrait avoir pour résultat concret de faire changer cela prochainement.
  • Un des problèmes qui ferment aujourd’hui l’accès des marchés aux producteurs bio est la difficulté à fournir des légumes déjà épluchés, découpés et lavés, comme l’exigent les grandes cuisines de collectivités (sachant que réaliser la découpe et le nettoyage en cuisine représente, selon leurs gestionnaires, un triplement du prix en raison du manque d’efficacité de ces tâches par rapport à ce que peut réaliser une chaîne industrielle !). Mais des initiatives sont en train de naître pour résoudre ce problème (création de « légumeries » bio capables de conditionner les légumes).
  • Enfin, et cela tiendra lieu de conclusion à ce bref compte-rendu, cette remarque d’une maman présente à la table ronde, qui me semble bien résumer les préoccupations des parents qui demandent à la Ville de faire évoluer les choses : « À l’école, on peut choisir de mettre les enfants à la cantine ou pas. En crèche, on n’a pas le choix, on ne peut pas apporter de nourriture et nos enfants, à la période de leur vie où ils ont le plus besoin d’une alimentation saine, mangent une nourriture dont on ne sait en fait quasiment rien ». À bon entendeur…