Carte blanche parue dans « Le Soir » en ligne le 17 mars 2022.
Le gouvernement fédéral vient donc d’engager 3 milliards d’euros — une somme quasiment équivalente à ce que l’Etat investit chaque année dans le rail — pour réduire la facture énergétique des Belges. Mais le constat est unanime : ces mesures seront insuffisantes à sortir bon nombre d’entre nous, citoyens de ce pays, de la précarité énergétique dans laquelle nous sommes en train de tomber.
C’est d’autant plus vrai qu’il est possible sinon probable que le prix de l’énergie continue à augmenter sensiblement dans les années qui viennent, en raison d’une raréfaction des ressources fossiles mais aussi parce que l’emballement du système climatique nous impose, pour laisser une chance aux générations qui nous suivent, de réduire drastiquement nos émissions de carbone et donc de cesser très rapidement d’utiliser ces combustibles. En sorte qu’il est non seulement impossible mais aussi fort redoutable de s’engager dans une logique de subvention linéaire de la consommation énergétique.
C’est pourtant le choix qui a été posé. Il consiste à mutualiser partiellement la dépense énergétique, sans ciblage aucun. Pour les classes populaires, cet effort budgétaire beaucoup trop dilué ne changera pas grand-chose : gagner quelques centaines d’euros quand l’augmentation de la facture dépasse 1000, 2000, 3000 euros, c’est peu de choses. Il est même possible qu’en reportant l’indexation des salaires et prestations sociales, cette mesure s’avère finalement sans effet pour de nombreuses personnes. Pour les plus aisés, cette politique revient à opérer un transfert économique au bénéfice des ménages qui continuent à consommer l’énergie de façon inconsidérée et au détriment des autres, en particulier de ceux qui se sont activement engagés, dans leurs choix de vie, dans une démarche de sobriété énergétique. Comme on le fait déjà massivement avec le régime fiscal de la « voiture salaire ».
On se demande donc où est la boussole idéologique, sociale, éthique, écologique de ce gouvernement.
Certains objectent que la taxation de la consommation est intrinsèquement injuste. C’est évident pour les biens et services de base ; d’ailleurs, pourquoi le prix des denrées alimentaires ne suscite-t-il pas le même élan national que la crise de l’énergie ? Ça l’est beaucoup moins quand il s’agit de gaspiller l’énergie. Dès lors, pourquoi, par exemple, ne pas appliquer la TVA à 6% uniquement sur un premier volume d’énergie correspondant aux besoins essentiels ?
Et puis, la fiscalité sur l’automobile est très loin d’équilibrer les coûts qu’elle génère ; en France, le ministère de l’Economie vient de publier une étude selon laquelle à peine 36% de ces coûts sont couverts. Ce qui signifie que, structurellement, les non-automobilistes subventionnent massivement les automobilistes. Faut-il encore aggraver cette situation en allégeant, sans aucun ciblage social, la taxation sur les carburants automobiles ?
Que faire, alors ?
D’abord, admettre que dans le contexte écologique que nous vivons, réduire l’écart des revenus va devenir une condition sine qua non à une vie digne pour chacun. En conséquence, il faut taxer plus fortement les revenus du capital et augmenter significativement les bas et moyens revenus (salaires et prestations sociales), limiter la tension salariale dans les entreprises aussi, plutôt que de chercher à faire baisser des prix qui nous sont largement dictés par le marché mondial. Comme l’a démontré Philippe Defeyt, cette approche est infiniment moins injuste que les subventions sur les carburants.
Ensuite, nous avons à sortir du déni de la rareté de l’énergie et donc à miser massivement sur la réduction de notre consommation. Contraindre les bailleurs à améliorer fortement la performance énergétique des logements qu’ils mettent en location. Former d’urgence des milliers d’ouvriers du bâtiment, pour remplacer les menuiseries extérieures, isoler toitures et façades, installer pompes à chaleur et VMC. Développer des filières locales de production de matériaux isolants : la ressource en bois, rare elle aussi, sera beaucoup plus utile sous forme de laine de bois que brûlée dans des passoires énergétiques. Il faut encore mettre en place un instrument de financement à (très) long terme (des prêts à 50 ou 60 ans) de ces travaux, qui pourrait être lié aux immeubles plutôt qu’à leurs propriétaires, comme le propose Thierry Laureys. Puis questionner la localisation de l’emploi qui amène tant de nos concitoyens à parcourir des centaines de kilomètres en voiture chaque semaine, investir dans le transport public, dans les autoroutes cyclables, etc. Les trois milliards du gouvernement auraient trouvé là un bien meilleur usage.
Il faut encore accroître la production locale d’énergie et la mettre au service de toutes et tous. Mais plutôt que l’approche individualiste qui a prévalu jusqu’à présent avec le photovoltaïque, créons par exemple dans chaque commune une régie municipale des énergies vertes, qui redistribuera sa production à prix coûtant aux habitants.
Et puis il faut aller chercher les profits du secteur de l’énergie, qui ont explosé avec les prix ; voire nationaliser. C’est par la captation de ces surprofits qu’il faut financer les mesures de sauvegarde sociale.
Enfin, il faut oser le débat sur le rationnement. Quand une ressource vitale se raréfie, les mécanismes du marché conduisent, on l’observe, peuvent menacer des pans entiers de la société. Si l’on veut garantir le minimum à chacun, il faudra, d’une façon ou d’une autre, modérer la consommation de ceux qui se gavent.
François Schreuer
Conseiller communal écosocialiste (VEGA) de la Ville de Liège
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