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Compte-rendu

Statistiques policières

J’ai assisté ce samedi matin à mon premier Conseil de police *. J’avoue que ça me fait un rien bizarre, mais oui : je fais bel et bien partie du Conseil de police de la Ville de Liège.

Une matinée, donc, sous la présidence de Raphaël Miklatzki (MR) et sous la pastorale férule d’un bourgmestre parfaitement dans son élément, à écouter les exposés du chef de zone, Christian Beaupère, et du directeur du plan zonal de sécurité, Daniel Renwa. Le premier a présenté les fonctions et l’organigramme de la zone de police. Quant au second, il a longuement parcouru les statistiques de la criminalité concernant l’année 2012. Suivait un temps d’échange entre les conseillers et les huiles de la rue Natalis, avant que ne soit offert un boulet-frites.

Je ne ferai pas ici un compte-rendu de ces échanges qui sont partis dans tous les sens (et puis je préfère éviter de – mal – retranscrire les interventions des autres groupes politiques, ce que je ne ferai donc qu’à titre exceptionnel). Je note quand même pour mémoire les questions que j’ai posées (et auxquelles je n’ai obtenu jusqu’à présent que des réponses partielles, mais je ne doute pas qu’il y aura d’autres occasions d’y revenir) : Comment se passe, dans la collaboration avec les services fédéraux (inspection du travail,…), la gestion d’une plainte concernant une atteinte au droit du travail qui est déposée dans les mains d’un policier liégeois ? Pourquoi distinguez-vous si peu, dans les statistiques présentées, les faits les plus graves (homicides, coups et blessures ayant entraîné des conséquences définitives pour les victimes, etc) du reste des infractions constatées ? La police de Liège diligente-t-elle à ce jour des contrôles pour le compte de l’ONEm, ainsi qu’il semble que cela se passe dans d’autres zones de police de la région ? Peut-on me certifier que la police de Liège respecte scrupuleusement la loi du 6 décembre 2000 concernant les visites domiciliaires ? (il semble que les réponses à ces deux questions sont non et oui, mais ça demandera encore quelques clarifications). Quelle part des moyens (en matériel et en personnel) de la police de Liège est consacrée à la répression des délits relatifs à la possession, à la vente, à la production ou à la consommation du cannabis et de ses dérivés ? (pas encore de réponse sur ce point). Quels sont les dispositifs (qui semblent assez efficaces, par comparaison avec la zone de Bruxelles-Ixelles, par exemple) mis en place au sein de la zone de police pour prévenir les violences policières ?

J’aimerais plutôt profiter de ce billet pour vous faire partager l’ébauche d’une réflexion sur la pratique qui consiste à comptabiliser les infractions, sur ses limites et peut-être sur ses dangers.

Le sentiment qui domine, en consultant ces données (je tiens ces chiffres à votre disposition et j’espère les avoir prochainement sous format informatique, pour pouvoir les publier ici), c’est leur côté erratique : certains types de délinquance sont en augmentation ; d’autres diminuent. Et les tendances peuvent changer d’une année à l’autre. Et pour cause : la délinquance, la criminalité, sont à une société ce que les fumeroles sont à une terre volcanique. Largement imprévisibles, les chiffres disent sans doute la tension du moment, traduisent la souffrance et la violence qui traversent le champ social. À cela s’ajoute le fait que la nature et l’intensité de l’activité policière vont elles-mêmes modifier les statistiques : qu’on mette, pendant quelques mois, une priorité – et donc des équipes – sur la répression des marchands de sommeil et les statistiques idoines vont exploser, tandis que (du moins peut-on l’espérer) la situation réelle s’améliorera. Que l’accueil des victimes de violences intra-familiales s’améliore et ces personnes seront sans doute plus nombreuses à déposer plainte. Etc. Du chat de Schrödinger appliqué à la maréchaussée.

Bref, l’interprétation de ces fameuses statistiques est une chose pour le moins malaisée et en tout cas hautement délicate. Bien sûr, certaines choses s’expliquent, certains mouvements se décèlent. Ici, le développement d’un peloton anti-banditisme a repoussé des truands sur un territoire différent, là les mesures de sécurisation de tel type d’établissements ont déplacé une criminalité vers d’autres. Là encore, la « crise » (no es una crisis…) qui frappe déjà bien durement explique la recrudescence de vols à l’étalage. Mais, comme souvent face à un amoncellement de données, il n’est pas bien difficile à qui le souhaite de faire dire aux chiffres bien des choses différentes, selon, par exemple, l’année de référence sur laquelle on se base. De tout cela les policiers sont conscients. Ce sont eux qui l’expliquent. Et ils nuancent, conjecturent, formulent des hypothèses.

Pourtant. Pourtant. Si grande est l’importance que tant de gens leur accordent, à ces chiffres, tant de gens qui ergotent sur telle évolution prise sous tel angle (on sait le mal que certains médias ont pu faire à Liège en tirant des conclusions péremptoires dans ce domaine). Et, curieusement, les derniers à tomber dans ce relatif panneau ne sont pas les policiers eux-mêmes, qui consacrent visiblement beaucoup de temps et d’énergie à s’intéresser à ces statistiques (et notamment plus de la moitié de ce premier Conseil de police de la législature). Et de vous afficher du tableau à barrettes dans lequel sont platement agglomérés tous les actes délictueux recensés sur un certain territoire pendant une période donnée (bonne nouvelle : on baisse de 4,2% à Liège là où ça augmente presque partout ailleurs). Dans ces tableaux, un homicide ou un délit mineur comptent du même poids. Quel sens cela a-t-il ? Aucun.

Il n’en demeure pas moins implicite – pour ne pas dire évident – dans bon nombre de discours que l’action de la police doit s’évaluer en fonction de ces chiffres. Que la criminalité diminue et la police sera félicitée. Qu’elle augmente à l’inverse et l’on s’interrogera sur ses méthodes, à moins qu’on ne demande d’augmenter ses effectifs et ses moyens.

C’est, je pense, largement une erreur. Une erreur et peut-être aussi un danger.

La police – sauf à devenir, si l’on peut dire, sarkozyste, c’est-à-dire à être poussée à faire des droits des citoyens une variable d’ajustement dans l’obtention d’objectifs chiffrés, donc à entrer dans un régime d’exception – ne saurait avoir une obligation de résultat, tout simplement parce que les causes des phénomènes qu’elle combat ne dépendent que très peu d’elle. Elle doit par contre avoir une obligation de moyens, et cette obligation doit intégrer, prioritairement, la question des méthodes. Comment travaille-elle ? Avec quels objectifs ? C’est pour cela qu’il y a sens à disposer d’un Conseil de police plutôt que d’un ordinateur. C’est pour cela que je suis heureux d’avoir l’occasion de m’y exprimer.

* Plus exactement, c’est une « Commission générale du bourgmestre » qui a statut de Conseil de police, étant donné que Liège est une zone mono-communale.