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Compte-rendu

Sur l’abandon du logiciel libre dans la bureautique de la Ville de Liège

Le Conseil communal de ce lundi 6 octobre 2014 a donc voté (la majorité PS-CDH avec l’appui du MR, contre les trois autres groupes du Conseil), le déploiement de la suite bureautique Microsoft Office sur l’entièreté du parc informatique de la Ville, en remplacement du logiciel libre (OpenOffice) qui était largement (mais pas uniformément) utilisé depuis une dizaine d’années. Formellement, la décision porte sur le seul exercice 2014 (avec une dépense de 60.000 EUR) mais l’impact de cette décision est bien plus large et engage plusieurs centaines de milliers d’euros supplémentaires de dépenses en licences logicielles.

Selon les explications reçues (une note détaillée aurait été rédigée, mais elle ne sera communiquée aux conseillers… qu’après le vote), cette décision repose sur deux arguments principaux. Il y a d’abord le gain de productivité : selon le responsable informatique de la Ville, Microsoft ferait économiser 2 minutes par jour et par agent, soit 8 ETP par an à l’échelle de la Ville (ce qui reste purement théorique car cette considération n’aura aucune conséquence sur le cadre du personnel, et heureusement). Il y a ensuite et surtout le fait que la Ville se sent obligée de s’adapter à des « standards de fait » imposés notamment par plusieurs administrations fédérales avec qui la Ville traite au quotidien (alors même que diverses recommandations émanant… du niveau fédéral prescrivent de faire exactement l’inverse).

J’ai donc voté contre cette délibération, qui me semble appeler quelques commentaires.

On a entendu, tout d’abord, certaines voix dans la majorité expliquer que la Ville de Liège continuait à utiliser du logiciel libre (pour ses serveurs, notamment) et qu’il n’y avait donc pas à s’inquiéter (c’est même le principal argument que l’on a entendu hier soir). Cet argument me semble tout simplement hors sujet. Parce que la délibération portait sur des logiciels bureautiques et sur rien d’autre. Et parce que la question qui se pose à un pouvoir public n’est pas d’être pour ou contre le logiciel libre par principe (ou de prendre « un peu de tout » pour contenter tout le monde, on croit rêver), mais de définir des critères, dans l’attribution de ses marchés, qui garantissent un bon usage des deniers publics et le respect d’un certain nombre de principes.

C’est la raison pour laquelle j’ai tenté, hier soir, de mettre l’accent sur les enjeux d’indépendance technologique et sur l’importance de veiller à utiliser des standards ouverts. Je ne demande pas à la Ville de poser un choix « idéologique » en faveur du logiciel libre (même si je pense que beaucoup de raisons, pratiques et politiques, conduisent à ce choix). Je lui demande – et j’affirme que ce devrait être une obligation pour elle – de prévoir, dans ses marchés informatiques, des critères qui garantissent l’interopérabilité, ce qui est la condition à la fois à une réelle mise en concurrence des logiciels entre eux (et donc de leur amélioration, regardez ce qui s’est passé pendant une décennie avec MSIE entre la fin de Netscape et la naissance de Mozilla) et à éviter de reproduire vers les tiers avec qui la Ville est en contact le même effet monopolistique dont elle-même, si l’on en croit les explications données par les responsables de son administration, est ici victime.

À cet argumentaire, aucune réponse substantielle n’a été faite. Pire, j’ai l’impression assez nette que l’importance de ces enjeux est sérieusement sous-estimée par le Collège et par le Directeur général. C’est un problème récurrent qui devrait à mon sens faire l’objet d’une réflexion transversale : les enjeux techniques sont de plus en plus souvent porteurs de choix politiques assez conséquents (c’est un peu le même débat avec les caméras de surveillance), mais ils restent considérés, surtout par la génération qui est au pouvoir, comme de pures questions d’exécution, dont on peut déléguer la responsabilité aux techniciens sans en mettre en débat les tenants et aboutissants. Cette situation n’est plus tenable.

La décision d’hier soir est grave, non pas parce que le logiciel libre a perdu un marché, mais parce qu’elle témoigne de la pression monopolistique d’un acteur qui utilise sa position dominante pour imposer ses logiciels et éradiquer la diversité (et qu’en pliant à cette pression, on contribue encore à l’accroître sur les autres acteurs du jeu). Conclusion : j’en viens à penser qu’une loi sur les standards ouverts – les rendant obligatoires dans toute la sphère publique – est le seul moyen de renverser la vapeur. Et que c’est relativement urgent. Comment faire avancer cette revendication ?