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Des obstacles à la gratuité

Article paru dans C4, mars 2007.

Le thème de la gratuité des transports fait un retour en force dans le débat public depuis quelques années. Même si le Collectif sans ticket (CST) est aujourd’hui défunt, agoni d’amendes qu’il a été par une justice incapable de réagir à la contestation sociale autrement que par la répression la plus brutale, les graines semées par lui semblent bien vivantes aujourd’hui et se sont dispersées dans de nombreux esprits, lieux et groupes.

Même du côté des différents gouvernements du pays, le thème de la gratuité semble avoir plutôt bonne presse — personne n’oublie que celui qui est devenu il y a quelques années l’homme le plus populaire de Flandre avec une vitesse étonnante, Steve Stevaert, a notamment bâti son succès sur la gratuité des transports dans sa ville d’Hasselt — puisque des mesures de gratuité ciblée dans l’accès aux transports en commun ont été prises récemment ou vont l’être, pour les pensionnés, les fonctionnaires ou, bientôt, les étudiants. Ces mesures de gratuité sectorielle sont cependant loin de faire une politique cohérente et on peut se demander pourquoi les étudiants auraient droit à voyager à l’oeil tandis que les chômeurs doivent continuer à payer ou pourquoi les journalistes ont ce droit qu’on refuse aux enseignants ou au personnel médical. Bref, à quand une approche plus globale ?

La réponse à cette question se trouve peut-être du côté des sociétés de transports et des syndicats, où l’idée d’une gratuité généralisée des transports en commun — c’est-à-dire d’un mode de financement intégralement socialisé de ce service — continue à être perçue généralement avec méfiance. Quelles en sont les raisons ?

Il semble y avoir tout d’abord un enjeu de valorisation sociale. Certains travailleurs du secteur, se sentant déjà trop peu considérés dans de nombreuses circonstances, redoutent manifestement que les usagers perdent de vue le fait que l’existence d’un service de transports de bonne qualité en commun est un bien très précieux qu’il convient de respecter.

Il y ensuite un enjeu technique, particulièrement du côté des chemins de fer : à côté des enjeux sociaux du discours sur la gratuité, il y a en effet un enjeu environnemental de taille qui consiste à rendre les transports en commun plus attractifs de façon à opérer un « transfert modal » de la voiture vers le train, notamment. Si cet effet attendu de la gratuité se réalise, il y aura un petit problème : le réseau ferroviaire ne serait pas capable dans son état actuel de fournir l’augmentation de capacité nécessaire, qui nécessitera de très lourds investissements (nouvelles lignes, nouvelles gares, nouveaux trains) auxquels le contexte politique est peu favorable.

Il y a enfin des tabous que certaines des sources syndicales que nous avons intérrrogées reconnaissent en « off », en particulier le fait que les chauffeurs des TEC sont désormais « intéressés » aux bénéfices de la société de transports. Autrement dit, au lieu de leur donner l’augmentation de salaire en bonne et due forme qu’ils réclamaient, la direction ne leur a consenti qu’une dringuelle dont le montant est lié au montant des bénéfices de la société. On se risquera à considérer la chose assez perverse et en tout état de cause rigoureusement incompatible avec la logique de service public retrouvé, de service au public, qui est au coeur de l’idée de gratuité.