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Quelle renaissance pour Seraing ?

Article est paru dans le numéro 254 de la revue A+ daté des mois de juin et juillet 2015.

Si la Ville de Seraing s’est dotée d’un master plan ambitieux, le tableau des réalisations publiques récentes est en demi teinte. La cité sérésienne, qui entreprend de (re)construire un cœur de ville dans des conditions financières et économiques particulièrement difficiles, démontre pourtant les prémices d’une préoccupation architecturale à haut potentiel.

Seraing, avec l’industrialisation, fut sans doute, voici deux siècles, l’une des premières booming cities du continent. La ville, dans les étonnants téléscopages spatiaux qu’elle laisse encore voir au visiteur, dans l’omniprésence du métal dans le paysage, garde profondément la marque de feu cette croissance effrénée. Mais depuis quelques décennies, c’est le recul et désormais la fin de la sidérurgie à chaud qui ont produit des effets d’une ampleur comparable, en creux, en vide, en rouille, abandonnant à la pluie et au vent des centaines d’hectares de terrains industriels très pollués, répandant sur la région une vague de chômage dont elle ne s’est toujours pas remise, plombant dramatiquement les finances communales au moment où elles sont les plus sollicitées.

C’est dans ces conditions extrêmement difficiles que Seraing entreprend de se reconstruire, et tout est à faire : faire émerger un coeur de ville au sein d’un ensemble urbain très disparate, résultat d’une fusion des communes par encore tout à fait digérée, formuler un nouveau projet économique sans tout à fait renoncer à l’ancien, faire évoluer l’identité de la ville pour en finir avec une image très terne, qui semble même éloigner bon nombre d’architectes de ses marchés pourtant conséquents.

Les bases de ce processus ont été posées dans un Master plan finalisé en mai 2005 par une équipe emmenée par l’urbaniste français Bernard Reichen. L’ambition de ce document qui a été largement salué, détonne à tous égards dans le paysage liégeois et wallon, peu habitué à planifier un développement urbain sur une génération et à une échelle aussi vaste qu’une ville entière. Pour mener à bien ce plan, une régie communale autonome, nommée « Eriges » a été fondée dans la foulée, qui pilote aujourd’hui une grande partie des opérations urbanistiques dans le vaste périmètre concerné, au risque de parfois faire doublon ou de reléguer au second plan l’administration communale.

Le Master Plan distribue sa programmation autour d’un « boulevard urbain », en forme de T, aux trois sommets duquel on trouve respectivement le nouveau coeur de ville, à côté de l’ancien Palais d’été des Princes-évêques de Liège, au Nord, dans la boucle de la Meuse, le Val Saint-Lambert, à l’Ouest, et Ougrée, à l’Est. Les deux derniers hauts-fourneaux, sombres totems omniprésents, sont destinés — à moins que les voix qui appellent aujourd’hui à la sauvegarde de l’un d’eux au titre de la mémoire ouvrière n’obtiennent gain de cause — à laisser place à d’autres fonctions, principalement des espaces à vocation économique. L’immense site de la cokerie, quant à lui, le plus pollué de tous, a été prudemment laissé à l’écart. Pour la génération d’après.

La place de l’architecture, dans ce contexte, semble parfois difficile à trouver. Le tableau, en particulier, que l’on peut tracer des réalisations publiques récentes semble être en demi-teinte, pas tout à fait, pour le dire nettement, à la hauteur de l’ambition affichée sur le plan urbanistique.

La nouvelle cité administrative communale, achevée en 2014 par le bureau d’architecture Greisch, témoigne des hésitations de la Ville de Seraing qui s’est surtout préoccupée, dans ce programme, des économies d’énergie — il est estampillé « premier bâtiment public entièrement passif de Wallonie » —, de la rationalisation de ses services à la population, jusque là éclatés aux quatre coins de la commune ou d’une avancée rapide du chantier, reléguant au second plan la volonté, pourtant formulée par divers acteurs, d’une démarche de création pouvant servir de point d’appui et de repère à toute l’opéraion du coeur de ville. Le résultat est une architecture technicienne et efficace, qui peut évoquer un catalogue des divers produits métallurgiques que Seraing peut ou pouvait proposer, mais peu habitée, à l’image de ces volets automatiques, qui s’ouvrent ou se ferment sans prévenir, dissimulant une grande partie du temps le paysage aux yeux des utilisateurs ayant la malchance d’être orientés au Sud.

Les espaces publics sont malheureusement à l’avenant, à commencer par la nouvelle entrée de ville, la place Kuborn (bureau d’architecture Greisch), en cours d’achèvement, située au pied de la cité administrative et du nouveau siège de la société CMI (architectes Reichen et Robert). Malgré l’organisation d’un concours d’idées1, en 2010, destiné à améliorer un projet jugé trop fade par la maîtrise d’ouvrage elle-même, l’ensemble reste marqué par un vaste rond-point qui compromet le caractère urbain des lieux et par la démolition de tout le front Est de la rue Cockerill voisine, qui dilue la lisibilité d’un espace par ailleurs déjà relativement incertain.

De manière générale, et à de rares exceptions près, les espaces publics sont jusqu’à présent restés, à Seraing, le parent pauvre de l’ensemble du projet. Le boulevard « urbain », pourtant épine dorsale de la ville nouvelle, semble avoir été conçu pour la circulation des poids-lourds plus que comme un endroit où les transports publics (qui ne disposent d’un site propre que sur l’une des trois branches du T) et surtout les modes doux trouveront leur place. La faute, selon la commune, aux budgets trop étriqués pour préempter les emprises nécessaires, à la cohabitation entre la volonté d’une urbanité et la persistance des contraintes liées à l’industrie, mais aussi, peut-être, à une culture de l’aménagement encore très largement tournée vers la seule mobilité automobile ou simplement à un manque d’intérêt dans le chef des autorités politiques pour la possibilité de faire d’un boulevard un peu plus qu’une voie de circulation.

Au-delà de ce qui peut apparaître comme des échecs dans la commande architecturale publique, d’autres projets retiennent l’attention. C’est notamment le cas de « Neocittà », auquel le bureau bruxellois Jourdain (J2A) met actuellement la dernière main. Situé dans le coeur de ville, cet immeuble public et polyvalent de 5 niveaux déploie une silhouette assez singulière entre la rue Cockerill et un nouveau parc public d’un demi-hectare (Atelier EOLE), avec lequel le bâtiment, conçu comme un pont dans la ville, entièrement supporté par ses deux cages d’ascenseur, permet d’établir un contact visuel. Le même bureau J2A entame actuellement, après un appel d’offres ouvert tout comme pour le précédent projet, la construction d’un « Eros center » qui a été piloté par la Ville et sera réalisé et géré par une asbl en émanant.

Un autre projet marquant pourrait être la rénovation de la salle de spectacle « Ougrée Marihaye », alias « l’OM », située à Ougrée, en bord de Meuse, en face du stade du Standard. Ce bâtiment emblématique de l’âge d’or de la sidérurgie, construit en 1936, a été le premier projet important de l’architecte Georges Dedoyard. Les trésors décoratifs, notamment de très belles mains-courantes en laiton, qu’abritait ce bâtiment, laissé par la commune sans surveillance depuis plusieurs années, ont cependant été entièrement pillés, avant que le bâtiment ne soit récemment incendié, en sorte que sa splendeur a largement disparu. C’est l’Atelier Chora qui, après avoir réalisé deux intéressants immeubles publics à Ougrée-Haut (commissariat) et au Pairay (commissariat et logements), a été désigné, par appel d’offres, pour mener à bien cette rénovation à tout petit budget (3 millions), dont le programme vise simplement à remettre en service les trois salles (dont la plus grande compte quand même 2000 places) et à rénover une partie des bureaux situés dans les étages. Dans ces conditions très limitantes, Emeric Marchal, qui a miraculeusement retrouvé les plans originels du bâtiment qui étaient perdus depuis 50 ans, parle de son travail comme d’une « archiponcture » visant à remettre à flot un paquebot naufragé, en laissant aux prochaines générations le soin de peut-être mener une rénovation plus poussée.

La récente attribution d’une nouvelle envelopper de fonds européens (FEDER), dont Seraing a largement bénéficié, met sur les rails plusieurs projets d’ampleur, dont la finalisation du boulevard urbain vers Ougrée (8,4 millions) et au niveau du Haut-fourneau 6 (8,7 millions). C’est aussi le cas du projet « Gastronomia » (9,3 millions), qui vise à requalifier d’anciennes halles industrielles faisant face à la nouvelle cité administrative pour y installer un projet commercial et de service orienté vers les produits alimentaires frais et locaux. C’est aussi et surtout celui de la rénovation des immenses Ateliers centraux, à Ougrée, ou plus exactement... de la réalisation d’une parking de 650 places dans ses sous-sols (7,9 millions) et de la création d’une passerelle vers le parc de Trasenster, en bord de Meuse, et destinée à desservir le futur RER (5,2 millions). Le potentiel de ces espaces est immenses, mais tout reste à faire pour concrétiser l’ambition.