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Entretien

« Il faut renouer avec le volontarisme d’André Cools », entretien dans Le Vif

Le Vif publie cette semaine une interview de votre serviteur. Je reprends ici le texte de cet entretien dans la version que j’ai relue (et qui a, semble-t-il, été un peu coupée à la mise en page).

François Schreuer : « Il faut renouer avec le volontarisme d’André Cools »

La plupart des analystes considèrent la logistique comme le principal gisement d’emplois en région liégeoise. C’est une erreur, selon François Schreuer. Pour ce penseur non-aligné, l’espoir réside, encore et toujours, dans le secteur industriel. Aux forces vives, il propose ce défi : la création d’un tram made in Liège.

Entretien : François Brabant

François Schreuer est l’une de ces personnalités atypiques dont regorge la Cité ardente. Agitateur d’idées non-aligné, adepte de positions aussi originales que tranchées, il exaspère régulièrement les gestionnaires publics, mais ceux-ci l’écoutent néanmoins avec attention. S’il s’exprime ici en tant que conseiller communal à Liège du petit parti rouge-vert Vega, il compte, déjà, à 33 ans, un riche parcours d’activiste derrière lui. Il a notamment présidé la Fédération des étudiants francophones (FEF) et participé à la fondation d’urbAgora, une association centrée sur les questions d’urbanisme, d’architecture et de mobilité.

Le Vif/L’Express : De nombreux observateurs évoquent une forme de désamour entre la Région wallonne et la ville de Liège. Vous partagez ce constat ?

François Schreuer : Pour moi, la Wallonie est un concept faible. Liège a plus de liens avec Bruxelles ou Maastricht qu’avec la plupart des villes wallonnes. Alors, si la Wallonie veut que Liège se reconnaisse en elle, elle doit lui donner un rôle, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Aux yeux des gens qui pilotent la Wallonie, l’axe de développement le plus prometteur, c’est la Nationale 4 : Bruxelles, Louvain-la-Neuve, Namur, Luxembourg. Ils considèrent peu ou prou Liège et le Hainaut comme des poids morts qu’il faut gérer, alors que c’est là que se trouvent la plus grande partie de la population et, à mon avis, les principales ressources pour rebondir. Namur est aujourd’hui la seule ville wallonne qui attire les classes moyennes supérieures. C’est symptomatique d’une forme de négligence récurrente pour le fait urbain dans le chef des autorités régionales.

Les problèmes dont souffre Liège découlent en grande partie du déclin de la vieille industrie. Espérer un redressement économique à moyen terme vous paraît-il réaliste ?

Sur la question économique, deux visions s’expriment. Il y a d’abord une vision désabusée, qui est celle du PS et des partis dans son sillage. La logique : dans la situation qui est la nôtre, tout emploi est bon à prendre ! Et pour l’instant, la seule perspective un peu massive de création d’emplois, c’est la logistique, même si ce sont souvent des emplois de mauvaise qualité. Ensuite, il y a une deuxième vision, un peu angélique, défendue par Ecolo, qui met en avant l’économie verte, qui veut tout miser sur l’alliance emploi-environnement. Les deux visions me semblent insuffisantes.

Pourquoi ?

La logique actuelle du PS revient à se tirer une balle dans le pied. Développer la logistique, hors quelques secteurs de niche, c’est accroître la concurrence avec les pays émergents en créant très peu de valeur ajoutée localement. Comment une entreprise manufacturière locale peut-elle survivre si ses concurrents qui pratiquent un dumping social et environnemental inondent le marché belge par le biais du port de Liège et de l’aéroport de Bierset ? Manifestement, peu y arrivent.

Pourquoi la stratégie misant sur l’économie verte vous paraît-elle insatisfaisante, elle aussi ?

Les emplois verts ne sont pas à négliger. Mais sur le plan économique, c’est insuffisant. Et surtout, cette stratégie fait l’impasse sur la question essentielle des financements, du capital. Sur le plan économique, je me sens héritier d’André Cools. Je veux poursuivre cette volonté qu’il a eue de créer des outils de financement public liégeois, de type SLF. L’initiative industrielle publique est devenue un gros mot. Il faut réhabiliter cette notion.

Réindustrialiser : n’est-ce pas, déjà, la logique du Plan Marshall, qui a constitué une rupture par rapport aux années 1990, où l’on considérait que l’avenir économique de la Wallonie passait avant tout par les services ?

Le Plan Marshall va dans la bonne direction. On a à Liège des compétences techniques dans plein de domaines différents : le verre, l’électronique, la mécanique, la métallurgie, la sidérurgie… On a ici toutes les compétences pour faire face aux besoins de la société de demain. On va dépenser une fortune pour le tram… C’est sans doute Alstom qui va remporter le marché, alors que son offre est très chère. Faut-il s’y résoudre ? Pourquoi n’est-on pas capable de créer nous-mêmes un tram ? On a ici, à Liège, toutes les compétences nécessaires – techniques et intellectuelles – pour produire un tram. Pour quelle raison ne pourrait-on pas prendre une initiative industrielle publique en ce sens ? Aujourd’hui, toutes les firmes européennes qui fabriquent du matériel ferroviaire ont des délais de livraison très longs. Leurs carnets de commande sont pleins pour plusieurs années. Des possibilités de rentabilité existent dans ce secteur.

Un tram made in Liège, n’est-ce pas du rêve, de l’utopie ?

Quand on réfléchit à l’avenir économique de Liège, on doit d’abord tenir compte de ce qu’est la population liégeoise : notamment beaucoup de mécaniciens très talentueux, des techniciens, des ouvriers. Ces gens-là, si on leur dit d’aller travailler dans les services, ils ne sont tout simplement pas préparés pour ça. Ces techniciens qui ont fait la gloire de Liège, on doit leur donner une place centrale dans le projet de redéploiement économique. Liège a une main d’œuvre incroyablement qualifiée : voyons ça comme un atout et utilisons-le pour mettre Liège en mouvement. Rendons à ces personnes une place, au lieu de les laisser sur le carreau.

Voyez-vous, pour Liège, d’autres perspectives de développement économique qui seraient sous-estimées ?

La deuxième grande filière à développer, c’est l’agriculture de proximité. On importe massivement des tomates, des fruits d’Espagne, ou de plus loin encore. Cela n’a pas de sens. Recréons à Liège une culture maraîchère.

L’initiative peut se comprendre sur le plan de la qualité de vie, de l’écologie, de l’alimentation saine, mais va-t-elle générer des emplois ?

Sans aucun doute. Pour l’instant, on paye une tomate très cher, parce que son prix incorpore le transport aérien et l’irrigation. Mettons en place, ici, une filière de production de fruits et légumes. Aujourd’hui, des centaines de Liégeois – et je pèse mes mots – veulent lancer une exploitation agricole, mais n’y arrivent pas. Les conditions d’accès à la terre sont très difficiles quand on n’est pas fils ou fille d’agriculteurs. Mutualisons des terres agricoles dans des outils publics et coopératifs et mettons-les à leur disposition. Créons dans le centre-ville de Liège un deuxième marché hebdomadaire pour mettre en valeur les produits locaux. Liège doit prendre conscience que sa richesse, c’est aussi son terroir : le pays de Herve, le Condroz, la Hesbaye… La plupart des régions situées autour de nous – la Rhur, le Nord-Pas-de-Calais, la Flandre, les Pays-Bas – manquent de foncier. A l’inverse, nous avons encore beaucoup de terres agricoles. Protégeons et valorisons cet atout, en densifiant les villes plutôt que de poursuivre encore et encore l’étalement urbain qui détruit tout autant les villes que les campagnes. La logistique est une impasse… Développons plutôt une autosuffisance dans toute une série de secteurs industriels et agricoles.