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Avis de décès du parti politique

L’a-t-on noté ? Les deux principales formations de la gauche française viennent, impromptu, de se voir notifier leur obsolescence au cours des dernières 48 heures.

En présentant sa candidature à l’élection présidentielle « hors cadre de parti », selon ses propres termes, Jean-Luc Mélenchon acte ce que tout le monde savait déjà : le Front de gauche a vécu. Qui eut dit, il y a dix ans à peine, que l’agenda de la gauche post-communiste serait fixé de cette manière ? C’est donc paradoxalement un homme seul qui se présente, avec les œuvres de Jaurès en fond d’écran, au suffrage populaire avec le but déclaré... de mettre fin à la solitude de l’exercice du pouvoir dans la Ve République. Entreprise risquée, sans doute, dictée par l’accélération du temps social probablement, mais qui pourrait réussir si elle mobilise, comme elle en forme le projet — plateforme web « à la Obama » à l’appui —, quelques centaines de milliers de sympathisants éparpillés.

La secrétaire générale en exercice d’Europe-Ecologie les Verts, Emmanuelle Cosse, a quant à elle décidé, ce 11 février, de rejoindre un gouvernement qu’elle vilipendait la veille. Elle l’a fait contre l’avis très majoritaire du mouvement qu’elle représentait encore ce matin et porte, de ce fait, à la première formation écologiste un (nouveau) coup dont celle-ci aura du mal à se relever. Embrigadée par Hollande, l’écologie politique française sera au minimum réduite à jouer les utilités lors des prochaines grandes échéances.

Le parti socialiste, pour sa part, suit désormais l’agenda de son extrême-droite, incarnée par Manuel Valls, qui ne représentait pourtant que quelques pourcents du vote des militants lors de la dernière primaire socialiste. Ses instances internes sont de toute évidence incapables d’imposer leurs vues à un exécutif qui file désormais en roue libre, avec un seul objectif qui semble être l’organisation d’un chaos suffisant à donner des chances au désastreux Hollande d’être reconduit l’année prochaine.

À droite, la situation n’est guère différente puisque le favori de la primaire « du centre et de la droite », Alain Juppé, qui creuse l’écart pour le moment, est minoritaire dans son propre parti, « Les Républicains », dont le président, Nicolas Sarkozy, n’a jamais paru aussi marginalisé qu’il l’est aujourd’hui — encore bien, certes, au vu de la complète batterie de casseroles qu’il traine dans son sillage — alors que le contrôle du parti dominant de la droite était traditionnellement un viatique pour en obtenir l’investiture, même lorsque l’impétrant se trouvait dans une posture défavorable.

Mais le constat ne s’arrête pas là. L’émergence, dans le paysage politique et intellectuel, du thème de la primaire, témoigne a minima d’un mouvement de dépassement de la forme partidiaire. Elle relègue certes les partis au second plan — avec le plein assentiment de bon nombre de leurs responsables. Elle neutralise surtout — du moins en ce qui concerne l’initiative « Notre Primaire » construite autour de Thomas Piketty — toute dimension programmatique, en prétendant (assez naïvement, il faut bien le dire), réunir dans un même processus de sélection d’un champion des forces politiques qui divergent totalement sur le fond — Hollande et Mélenchon pour prendre les deux pôles principaux. Je dis « des forces politiques » et je parle immédiatement d’individus. Et pour cause : les principales forces politiques sont plus divisées que jamais. L’idée de cette primaire est donc toute simple : sera choisie l’orientation portée par le champion qui émergera (là où l’inverse était censé primer jusqu’à présent).

La campagne des élections présidentielles des Etats-Unis, qui bat son plein, n’offre pas un spectacle très différent. Les deux appareils partisans traditionnels — pourtant extrêmement puissants et difficiles à contourner, ne serait-ce qu’en raison de la taille du pays — semblent pour le moment dépassés par la vague dite « populiste » (dans une acception de ce mot moins péjorative de l’autre côté de l’Atlantique que celle qui prévaut dans le monde francophone), c’est-à-dire par l’émergence de candidats n’ayant pas été adoubés par leur prédécesseurs. S’il est trop tôt pour tirer des plans sur la comète, les huiles démocrates ou républicaines pourraient assez rapidement être mises devant un dilemme assez désagréables pour elles si Trump et Sanders devaient encore engranger quelques succès dans les prochaines étapes des primaires : accepter le hold up en cours ou passer au second plan.

En Espagne, Podemos se présente à maints égards comme un anti-parti, comme un label servant, à géométrie variable — y compris au niveau programmatique —, à mettre en réseau différents acteurs, traditionnels ou émergents, locaux ou nationaux. On ignore ce que sera, le cas échéant, la capacité de cet attelage assez singulier à exercer le pouvoir, mais il n’est pas du tout invraisemblable, en cas de nouvelles élections législatives, que le premier ministre soit issu des rangs de l’alliance anti-austéritaire. La réussite d’un tel dispositif aurait, à n’en pas douter, des répercutions importantes partout en Europe et au-delà.

Même sur la modeste scène locale où il m’arrive d’intervenir, je constate que les partis n’ont jamais été aussi faibles, aussi démonétisés : chute notoire du nombre de militants, vieillissement des cadres, incapacité de plus en plus évidente à assurer une présence forte sur le terrain social, guerres intestines plus ou moins larvées mais indéniablement permanentes (dans toutes les formations), crédibilité à peu près nulle des partis en tant que partis dans le grand public (mais popularité de certaines figures singulières, médiatiquement très exposées), incapacité avérée (et pour cause, vu ce qui précède) à impulser des dynamiques d’émancipation ou de transformation, avec comme conséquence l’engagement dans un cercle mortifère. Etc.

Bref, je crois qu’on peut le dire : le parti politique, au moins dans sa forme actuelle, est en train d’agoniser dans le caniveau (même s’il a, je n’en disconviens pas, de beaux restes quand il s’agit de nommer tel fils-à-papa comme bourgmestre ou député, mais, ce faisant, il creuse sa tombe).

Faut-il s’en attrister ? C’est à voir.

Quiconque a lu la magnifique « Note sur la suppression générale des partis politiques » de Simone Weil ressentira a priori un léger frémissement euphorique à prendre connaissance de cet amoncellement de faits : en aurait-on fini avec l’immense aliénation dont les partis politiques ont été le lieu ? Les castes affinitaires qui se cooptent entre elles et squatent le pouvoir d’Etat auraient-elles fini de manger leur pain blanc ? Peut-être, mais avec le risque de déchanter assez vite.

Car le problème que pose cette agonie, c’est de savoir par quoi les partis vont être remplacés (ou en quoi ils vont se transformer). S’il s’agit de troquer des bureaucraties (sclérosées) pour le règne autocrate de quelques figures médiatisées, nous ne gagnons de toute évidence pas au change. S’il s’agit de donner encore plus de pouvoir au commentaire médiatique dans son rôle d’adoubement des intervenants ayant accès au débat public : itou. S’il s’agit, surtout, de renoncer à l’existence (certes bien étiolée) de corps politiques intermédiaires, capables d’organiser du débat et de porter du projet collectif (comme l’ont toujours rêvé les libéraux culturels et leurs émules qu’on trouve parfois à des endroits inattendus), ça devient carrément dangereux.

So what ? Inventer ? Oui, inventer. Trouver les voies d’une capacité refondée à faire de la politique. Expérimenter de nouvelles formes d’organisation, moins hiérarchiques et plus réticulaires. Laisser le débat philosophique (aka idéologique) aux lieux où il peut se déployer pour focaliser l’action politique sur des objectifs pratiques et bien identifiés autour desquels des coalitions temporaires peuvent se monter. Recréer du turnover dans l’exercice des responsabilités. Repenser la fonction politique pour que la fuite en avant individuelle ne soit plus la voie qui offre le plus de gratifications. Créer une culture de la tuyauterie, et en particulier du code informatique, tant il est vrai que le logiciel va être un des lieux clés de la politiques dans les prochaines décennies et que ceux qui laisseront entièrement sa production à des tiers perdront en bonne partie le contrôle sur les dynamiques auxquelles ils participent. Ce genre de choses.

À suivre, à débattre.

 

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