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Une nouvelle saga immobilière liégeoise

Article paru dans PAN.

L’arrivée de la grande vitesse ferroviaire et la décision consécutive de construire une nouvelle et grandiose gare des Guillemins ont donné le départ, dans la cité ardente, d’une nouvelle saga urbanistique. Une spécialité locale.

Au début de cette décennie, alors que le projet de la nouvelle gare était déjà bien avancé et après qu’un premier plan d’aménagement du quartier ait été mitonné par Claude Strebelle, s’est formé dans le chef des autorités communales le projet d’ouvrir une percée à travers la ville, un « axe royal ». Celui-ci devrait relier la nouvelle gare, griffée « Calatrava », à une « Médiacité », griffée « Ron Arad », 1 500 mètres plus loin, sur l’autre rive. Entre eux, dans le parc de la Boverie, un grand musée international doit venir — manifestation du syndrome « Guggenheim de Bilbao » — prendre la place du modeste Musée d’art moderne. Entre la vision et sa réalisation, laborieusement entamée à présent, le hiatus a malheureusement tendance à virer à la béance et laisse craindre un résultat moins reluisant qu’espéré.

La culture comme « redéploiement économique »

La « Médiacité » d’abord. Originellement annoncée par ses promoteurs (Wilhelm & Co) comme un « pôle de médias » doté de « studios de création » qui allaient faire de Liège une nouvelle Cinecittà ou quasiment, l’objet, désormais en construction après des années d’errance, se résumera finalement à une énième galerie commerçante surmontant un gigantesque parking souterrain et flanquée de quelques salles de cinéma Kinépolis. Les pouvoirs publics ayant fait preuve de mansuétude, l’ensemble sera cependant agrémenté d’une nouvelle patinoire municipale (remplaçant celle de Coronmeuse), des nouveaux studios de télévision de la RTBF (qui quittera le Palais des congrès) et des bureaux de quelques entreprises réunies dans un « Pôle Image ».

Le Musée d’art moderne et d’art contemporain (MAMAC) cédera quant à lui la place à un « Centre international d’Art et de Culture » (CIAC). L’auguste bâtiment, un vestige de l’exposition universelle de 1905 qui prend l’eau de partout, sera rénové (et probablement gratifié au passage d’un « geste architectural ») grâce aux fonds FEDER, abondamment sollicités. Les « stratèges » du Groupe de Redéploiement Economique (GRE) et leurs consultants, après avoir essuyé les refus du musée de l’Ermitage de St Petersbourg, du MoMA de New-York et du Centre Pompidou de Paris à venir s’établir à Liège, jugent désormais opportun de créer une « Kunsthalle », c’est-à-dire, plus brutalement dit, un supermarché de l’art présentant des expositions temporaires achetées toutes faites et à prix d’or sur le marché international. Valeur ajoutée ? Zéro. Mais l’ambition d’attirer les foules (on cite le chiffre démesuré de 600.000 visiteurs par an) et de brasser beaucoup de pognon. Quant aux collections actuelles du musée, faute de budget pour les héberger ailleurs, le risque existe qu’elles soient destinées à pourrir dans quelque réserve.

Expropriations à gogo

L’esplanade, enfin, qui doit relier la gare au fleuve, est à elle seule un poème. Si le conseil communal a validé le projet de l’architecte Daniel Dethier — une « rambla » piétonne, des espaces verts, des gabarits modérés,... et surtout l’arrêt des expropriations —, la SNCB (et son directeur du patrimoine, Vincent Bourlard) et plusieurs figures politiques liégeoises de premier plan (Marcourt, Daerden, Grafé,... et tout le MR) entendent quant à elles faire quelque chose de « plus ambitieux », c’est-à-dire remettre peu ou prou en course un projet délirant (qualifié récemment d’« hitlérien » par Ariella Masboungi, une éminence mondiale de l’urbanisme) conçu par Santiago Calatrava, l’architecte de la gare, qui ambitionne rien moins que de raser tout le quartier pour y construire une allée monumentale scandée de plans d’eau où pourra se mirer cette gare autiste qui n’entend dialoguer avec rien ni personne. Que va-t-il finalement advenir ? Nul ne le sait. On parle depuis le début de l’année 2008, à la suite d’un surréaliste voyage en Espagne de toute la clique (Bourlard, Daerden, Demeyer,...) des décideurs impliqués, de « compromis » entre ces deux projets inconciliables. Entre-temps, les habitants du quartier vivent dans l’incertitude de l’avenir. Expropriés ? Pas expropriés ? Ils verront bien.

L’explication de cette cacophonie tient en bonne partie à l’incapacité crasse des autorités communales — le bourgmestre Demeyer en tête — à donner un cap, à imposer le projet qu’elles ont pourtant elles-mêmes choisi. Si une semaine avant les dernières élections communales, les principaux représentants de la majorité juraient que les expropriations étaient terminées, leur discours a sensiblement évolué depuis lors. Face à cette impéritie presque revendiquée, le grand argentier wallon Michel Daerden — qui n’est jamais très loin lorsque le béton s’apprête à couler — a eu la partie belle pour revenir dans le jeu, à la faveur de l’attribution de la manne des fonds européens (FEDER) dont bénéficieront largement les projets de l’« axe royal ». L’arrivée de ce partisan déclaré du bling-bling et des « grands accords » ne devrait en tout cas pas remettre en cause la totale opacité qui prévaut aujourd’hui sur l’avenir des lieux et ce refus de tout débat public qui caractérise trop souvent les décisions en matière d’urbanisme à Liège.

 

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